De la culture européenne commune

Emmanuel Morucci
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La guerre en Ukraine a révélé à nouveau l’Union européenne. Remarquable, le discours du président Zelensky devant le Parlement européen donne une large place à la question des valeurs. Plus de vingt citations. Il affirme que la Russie essaie « d’anéantir non seulement l’Ukraine souveraine », et souligne le « mode de vie européen ». Il voit l’Europe « comme un continent imprégné de principes, de valeurs, d’égalité et d’équité »1. Il soutient ainsi l’existence, d’un modèle social, une culture commune qu’il souhaite partager avec les autres membres de l’UE.

Les cultures liées aux territoires d’appartenance

La culture commune est un peu l’arlésienne de la construction européenne. Tout le monde en parle tout en la cachant sous le boisseau. C’est un thème récurrent pour le CECI qui en fait un phénomène anthropologique et un élément de socialisation. Elle se distingue d’une culture unique car elle maintient et développe les cultures nationales et régionales, réalités objectives et vivantes qui sont avec elle en itération, et que nul ne veut remettre en cause. De plus, postulons que la culture commune n’existe que par la société européenne qui la porte.
Lors du colloque du CECI « Quelles éducation, formation, socialisation pour les citoyens européens »2 le sujet était en toile de fond. Les questions du sens de la construction européenne, de la citoyenneté commune et du sentiment d’appartenance à l’UE étaient posées. Elles avaient fait au préalable l’objet d’un questionnaire en ligne. Les interviewés ont notamment répondu à la question : « Selon vous qu’est ce qui définit la culture européenne ? ». Si l’histoire arrive en tête des citations avec près de 60%, les arts et lettres, les rites et traditions, les symboles sont peu reconnus.
On le voit, si les dirigeants européens semblent avoir intégré avec force de conviction les éléments de la culture commune, qu’en est-il des citoyens pour lesquels l’Europe paraît toujours lointaine ? L’interrogation est centrale car il paraît vain de parler de sentiment d’appartenance à l’UE s’il n’y a pas d’emblée la reconnaissance de la dimension territoriale, de l’existence d’une culture partagée et, de fait, d’une identité européenne.

Les cultures inscrites dans des valeurs

Selon anthropologues et sociologues, une culture est « un ensemble complexe qui englobe les connaissances, les croyances, les arts, la morale, les lois, les coutumes, et tout autre capacité et habitude acquise par l’Homme en tant que membre d’une société ».3 L’UNESCO en donne une définition désormais institutionnalisée : « La culture, dans son sens le plus large, est considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances ».4
Pour le Conseil de l’Europe elle s’inscrit dans la promotion des droits de l’homme, de la pratique de la démocratie et la prééminence du droit : « La culture est l’âme de la démocratie ». Elle est le « fondement du vivre ensemble dans le respect et la tolérance mutuels dans un monde de plus en plus complexe ».5 C’est bien cette complexité qui est à prendre en compte. C’est elle qui donne sens au projet européen et sa dimension éthique.
Le sociologue franco-néerlandais Fons Trompenaars affirme qu’une culture est « la manière dont les membres d’une société abordent le risque ». La guerre en Ukraine, exemple tragique, éclaire cette assertion. Le président Zelensky en convient lorsqu’il invoque l’État de droit. En clair c’est notre modèle social européen. L’actualité nous le montre, les Européens ont leur propre manière d’aborder, l’économie, le social, le conflit et la guerre et les relations internationales. C’est culturel, le résultat d’une histoire et d’une inscription dans des valeurs. C’est le paradigme propre à l’UE, notre manière d’être, de faire, de penser, d’agir et de réagir.

Un processus en constante évolution

Cette culture consciente ou inconsciente répond à des critères objectifs, des ingrédients qui en forment la recette. Les travaux du psychosociologue néerlandais Geert Hofstede (1928−2020) induisent qu’une culture est constituée de plusieurs couches formant une structure systémique et intégrée. Il rejoint ainsi Trompenaars pour qui les éléments d’une culture forment un continuum aux dimensions explicites et implicites. Les citoyens y prennent leur part « ce sont des individus qui créent la culture, qui la transmettent, qui la transforment »6.
Une culture n’est pas figée. Elle évolue constamment en fonction des contingences. Mais elle repose sur un ensemble d’éléments constitutifs. Au cœur se trouvent les valeurs et les préceptes fondamentaux. Ils sont issus de notre histoire, de notre passé même lointain et sont transmis par les générations et les événements, par les cultures particulières et locales.
Ainsi la culture se montre à voir par des artefacts (architecture, mode, manière de se nourrir, art, littérature, musique, etc.), de l’histoire, des climats, des héros, des fondateurs, des institutions, des mythes, des rites, des symboles, par la gouvernance, le langage ou la langue, le droit ou encore le fait religieux.

Pour les Européens, les valeurs trouvent leur inscription dans l’antiquité. Athènes, Jérusalem, Rome empire et Rome siège de l’Église en sont à l’origine. Elles ont évolué au fil des siècles : Lumières, Aufklarung, philosophes britanniques, apports des religions et particulièrement du christianisme. Elles fonctionnent en système. Tous les ingrédients constitutifs y sont présents. Arts, histoire, héros. (Charlemagne, Rolland, Churchill, et d’autres), les Pères fondateurs (Schuman, Monnet, De Gasperi, Spaak), le mythe (Europa), les symboles (drapeau, hymne, passeport, euro, 9 mai), les institutions (Commission, parlement, banque centrale,) et une gouvernance (Conseil européen, Conseil de l’Union européenne), un langage sinon une langue, et un rite (la fête de l’Europe).

1 Information du Parlement européen du 9/2/23
2 Quelles éducation, formation et socialisation pour les citoyens européens, approche franco- allemande et intergénérationnelle, Brest-Guipavas le 3 décembre 2022.
3 Définition du britannique Edward Tylor (1832-1917) titulaire de la chaire d'anthropologie d'Oxford
4 Conférence mondiale sur les politiques culturelles Mexico City (26 juillet - 6 août 1982)
5 Sources : Conseil de l’Europe
6 Margaret Mead (1901-1978)

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