Report des négociations par le gouvernement géorgien :
quelles positions politiques et juridiques pour l’UE ?
Je voudrais remercier le Docteur Ioseb Kelenjeridze, Directeur de l’Institut de Droit à l’Université Européenne à Tbilissi pour son invitation à intervenir à l’occasion de cette conférence internationale « European Union – Legal and Political Vectors ». Merci également à Vazha Kiladre qui anime notre session ainsi que Hans-Jurgen Zahorka qui a été un intermédiaire efficace et amical dans cette invitation. J’adresse mes salutations aux autres intervenants de cette conférence : Madame Nona Gelashvili et Monsieur Levan Meskhoradze.
Les questions auxquelles m’a demandé de réagir Ioseb Kelenjeridze sont de nature pluridimensionnelle : politiques, juridiques, diplomatiques et morales.
Mon propos est celui d’un modeste observateur attentif aux situations européennes. Je dois dire qu’au moment où nous échangeons, des mesures potentielles pouvant être prises sont discutées actuellement au sein des instances européennes et entre les États membres. Il est important de rappeler que le statut de candidat a été accordé à la Géorgie le 14 décembre 2023, par les Chefs d’État et de gouvernement lors d’un sommet européen.
Pour rappel ces questionnements touchent à la loi sur les ingérences étrangères, lois contraires à la règlementation européenne. Si la Géorgie n’abroge pas ces lois, quel pourrait en être le résultat ? C’est un objet politique et juridique conditionnel à la démarche d’adhésion. L’Union européenne pourrait-elle interdire à la Géorgie les voyages sans visa ? Ou retirer le statut de candidat ?
Commençons par cette question de visa car c’est une position symbolique face à la situation en Géorgie. Actuellement, les ressortissants géorgiens n’ont pas besoin de visa pour des séjours de moins de 90 jours sous conditions de ressources et d’un passeport. Toutefois, actuellement l’UE exprime son mécontentement en menaçant de suspendre des visas diplomatiques en raison de la répression de l’opposition.
Le partenariat oriental
Avant d’aller plus loin il est important de rappeler que la Géorgie est un des pays partenaires de l’UE et participe déjà au partenariat oriental lancé en 2009. Ce partenariat vise, entre autres choses, à renforcer le dialogue politique entre l’UE et les pays partenaires, à faciliter l’intégration économique à travers des accords d’association et des accords de libre-échange, à promouvoir des réformes en matière de démocratie, de droits de l’homme et de bonne gouvernance. La situation actuelle fait que, malgré ces accords d’association en cours, la situation politique actuelle soulève des préoccupations quant à l’avenir de l’intégration européenne de la Géorgie.
Les questions que vous me posez impliquent une réflexion sur la complexité de la situation. Elles touchent à la fois à la négociation avec l’Union européenne et les actuels pays membres et à la politique intérieure de la Géorgie, et concernent le droit communautaire, la citoyenneté européenne tout comme aux identités nationales et identité commune. Elles touchent également à la conscience européenne. La liberté des ONG est primordiale dans le processus démocratique ainsi que leur coopération notamment pour celles dont l’action est liée à un rapprochement avec l’UE et à la diffusion de l’information européenne aux citoyens. On ne peut parler ici d’ingérence mais de dispositif habituel à toute candidature acceptée à la dimension politique commune. La question des élargissements est sensible car il en va également de l’unité européenne en ces périodes de turbulences économiques et politiques internationales et du respect du traité d’Union européenne abordé par Madame Nona Gelasvili. Les difficultés avec la Hongrie en sont un exemple comme peut l’être la progression dans plusieurs pays lors des élections de personnalités de droite radicale.
Une première remarque est celle de l’exercice de la démocratie, du droit de vote et au respect des droits des citoyens. Comme vous le savez un référendum est nécessaire pour entamer les négociations d’adhésion. Ce doit être une volonté populaire et citoyenne. C’est toujours un peuple qui s’exprime et non pas seulement un gouvernement. Dans le cas qui nous intéresse c’est bien le gouvernement géorgien qui recule la date d’ouverture à 2028 contre l’avis des citoyens.
D’autres questions soulevées traitent des choix démocratiques. Celle du droit de circuler librement dans l’Espace Schengen et en UE, et celle des sanctions éventuelles pour atteintes aux droits de l’homme et à la citoyenneté.
Les valeurs de l’UE sont inscrites dans les Traités, notamment celui de Lisbonne mais également dans le document important qu’est la Charte des droits sociaux fondamentaux des citoyens de l’UE. Pour adhérer et valider les négociations il est nécessaire de valider ce que l’on appelle l’Acquis communautaire et transposer dans le droit national l’ensemble de ces dispositions. C’est pourquoi le temps avant l’adhésion peut être long. Parfois 10 ans. Il y a également les questions économiques et sociales à prendre en compte.
Actuellement, important est l’état de la situation et des relations avec la Russie qui mène une guerre d’agression vis-à-vis de l’Ukraine. Ce pays exprime sa volonté de rejoindre l’UE. Les États membres de l’UE ont validé le fait que les négociations s’ouvriront avec ce pays dès la guerre achevée. C’est une question fondamentale car le principe d’adhésion premier est la paix entre les membres. On peut prendre comme principe la relation fondamentale entre la France et l’Allemagne. Sans cette volonté forte, portée en 1950 par les fondateurs, sous l’égide de Robert Schuman et d’autres dont Konrad Adenauer, ce rapprochement historique, l’UE n’existerait pas.
Les opinions publiques
La Géorgie doit se positionner sur les textes actuels. C’est la base. Mais, comme l’a dit Hans-Jurgen Zahorka, il est important de tenir compte des opinions publiques géorgienne et européenne. Toutes ne sont pas au même niveau et certaines peu favorables à un élargissement.
Si l’UE s’engage vers d’éventuels élargissements (au nombre de 10), ils doivent être une réussite et ne concernent pas seulement un marché unique. La relation doit être du type gagnant/gagnant. Il y a d’autres dimensions relationnelles à prendre en compte comme la sécurité commune, la politique de voisinage, la défense, les relations avec le reste du monde, celles avec les BRICS (dont la Russie) et aujourd’hui particulièrement la zone indo pacifique, mais aussi les domaines de notre futur : le numérique et l’intelligence artificielle. La guerre en Ukraine est actuellement un point très sensible.
Toutes les déclarations en UE vont dans ce sens du maintien des négociations ouvertes. Toutes regrettent clairement la déclaration d’Irakli Kobakhidze, contre la position de la présidente Salome Zourabichvili sur la décision de « Rêve géorgien » de ne pas poursuivre l’ouverture des négociations d’adhésion. Ce qui revient à rejeter le soutien financier de l’UE jusqu’en 2028. Il faut avoir conscience qu’en reprenant d’éventuelles négociations après 2028 cela ne permettra pas une entrée dans l’UE dans les deux ans. Il faudra un temps plus long, une dizaine d’années peut être. Cela passera, entre autres éléments, par l’acception des critères de Copenhague et de ce que l’on appelle l’Acquis communautaire. Le constat est que le plan d’action des autorités géorgiennes et le recul démocratique ont conduit à l’arrêt de facto du processus d’adhésion dès juin de cette année et que l’aide financière de l’UE au profit directement des autorités géorgiennes est actuellement en attente.
La position actuelle du gouvernement géorgien marque un changement par rapport aux politiques de tous les gouvernements précédents et ne répond pas aux aspirations européennes de la grande majorité du peuple géorgien, comme cela est inscrit dans la Constitution de la Géorgie.
Les médias nous montrent les images du peuple géorgien, une fois encore, manifestant en grand nombre dans les rues pour réaffirmer ses aspirations à rejoindre l’Union européenne. Bien évidemment, les Européens condamnent fermement la violence contre les manifestants pacifiques qui défendent leur avenir européen et démocratique. De fait, les actions du gouvernement géorgien ont des conséquences directes sur la relation avec l’UE et ses États membres.
Vouloir être membre de l’Union européenne, c’est respecter les règles de l’ensemble que l’on désire rejoindre. Ce n’est pas un accord pour faire bien ou pour obtenir seulement des avantages économiques. Les implications sont nombreuses et autres : économiques bien sûr, mais aussi politiques, sociales, culturelles, diplomatiques….Et reposent sur un socle de valeurs communes et partagées.
Ainsi, les autorités géorgiennes doivent respecter le droit à la liberté de réunion et à la liberté d’expression, et s’abstenir d’utiliser la force contre des manifestants pacifiques, des politiciens et des représentants des médias. Pour l’UE, tout acte de violence doit faire l’objet d’une enquête et les responsables être tenus pour responsables. Je constate, à la lecture des déclarations, que l’UE réitère ses graves préoccupations concernant le recul démocratique continu du pays, y compris les irrégularités qui ont eu lieu lors des récentes élections législatives. Dans ce contexte, l’UE attend avec impatience le rapport final de l’OSCE/ODIHR et ses recommandations.
Que dire encore ? Que l’UE soutient le peuple géorgien et son choix pour un avenir européen. Bien évidemment, la porte de l’UE reste ouverte, mais l’acceptation aux valeurs européennes et le retour de la Géorgie au chemin de l’adhésion à l’UE est entre les mains des dirigeants géorgiens.
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