CECI dit

Galileo, le GPS européen, envers et malgré tout

L’Union européenne doit répondre vite et efficacement aux périls qui montent (guerre en Ukraine, crises énergétique et climatique, affaiblissement du multilatéralisme, guerre commerciale). Dans ce contexte géopolitique durable, il est utile de revoir l’histoire de Galileo, l’ambitieux système européen de radionavigation lancé au début des années 2000, pour tirer les leçons des erreurs passées et identifier les clés de la réussite pour les projets industriels majeurs dont l’Union a besoin aujourd’hui.

Galileo est un système de positionnement par satellites, actuellement le plus précis du monde, qui a été mis en place par l’Union européenne (UE). Il est nommé Galileo en hommage au savant italien qui a identifié la notion de satellite et il sert dans de nombreux domaines : téléphonie mobile, sécurité civile, transports maritimes, aériens et terrestres, opérations de secours et de sauvetage, travaux publics, prospection pétrolière, agriculture, ou tout simplement dans la vie de tous les jours. Galileo dessert plus de trois milliards d’usagers sur la planète. Contrairement aux systèmes américain GPS et russe Glonass, il a principalement été conçu pour un usage civil.

Un peu comme Airbus dans le domaine de l’aviation ou Ariane dans le secteur aérospatial, Galileo est un outil stratégique pour l’autonomie de l’Union. Il permet de se libérer d’une dépendance critique vis-à-vis des systèmes concurrents (GPS américain, GLONASS russe ou Beidou chinois) qui souffrent de nombreuses restrictions, pour des raisons techniques et/ou politiques.

L’idée d’un réseau transeuropéen de ce type nait en 1998 et prend la forme d’un partenariat public/privé à vocation commerciale qui est lancé en mai 2003. Il résulte d’un accord entre l’Union européenne et l’Agence spatiale européenne chargée du segment spatial. De fortes oppositions se manifestent, notamment celle des États-Unis qui ne souhaitent pas que des pays ou des organisations ennemis y aient accès et qui défendent leur monopole en matière de télécommunication satellitaire. Un accord d’interopérabilité technique permet de lever l’opposition, la même chose étant faite avec les systèmes russe Glonass et chinois Beidou. De nombreux autres pays participeront, à différents niveaux de coopération, notamment la Chine, l’Inde, Israel, le Maroc, l’Ukraine, la Norvège en 2009 et la Suisse en 2013.

Dans un premier temps, en 2005 une concession est attribuée à deux consortiums qui assure les 23 du financement du programme, le reste l’étant sur fonds publics de l’Union européenne et l’Agence spatiale européenne (ESA). De très nombreux obstacles se présentent du fait de la rivalité entre États, notamment entre l’Italie et l’Allemagne, de la difficulté à choisir un consortium, puis à définir le leadership entre les deux consortiums concurrents. Le calendrier initial est reporté de cinq ans, jusqu’à l’abandon du partenariat public privé en 2007 et la dissolution de l’entreprise commune Galileo fin 2006. La Commission européenne plaide alors pour un financement public complet des trente satellites du futur système de navigation, qui sera exploité par le privé, une fois opérationnel.

Les États membres et le Parlement européen finissent par s’accorder sur ce financement entièrement public, l’attribution par ESA des appels d’offres en six lots pour la phase opérationnelle du programme permettant de calmer les différends entre les pays participants. Fin 2010, un besoin de financement supplémentaire apparait et on risque un report à 2017, voire 2018. Berlin veut ensuite réduire le coût de 500 à 700 millions d’euros en utilisant des lanceurs russes Soyouz depuis la base de Kourou, ce qui sera fait entre fin 2011 et 2016. À compter de fin 2016, avec Ariane 5, le démarrage opérationnel de la constellation accélère et entre fin 2017 et mi 2018, une couverture viable existe en tout point du globe.
Le succès de Galileo est à saluer, tant les obstacles ont été nombreux, l’exploitation commerciale étant à l’origine prévue pour 2008. D’après la Cour des comptes européenne dans un rapport spécial 7/2009, le grand retard accumulé est lié à plusieurs problèmes : d’abord un échec des structures de gouvernance entre les différents intervenants mais aussi un manque de clarté dans les priorités entre équilibre financier et bénéfices macroéconomiques. Il faut aussi un financement adéquat dans un domaine stratégique comme l’espace où les rendements sont à long terme et où les mécanismes de marché fonctionnent mal. Le financement intégral par le budget européen décidé fin 2007 permet de lever l’obstacle. Elle permet aussi de contourner les rivalités interétatiques (le « juste retour ») qui complexifie l’organisation de la politique industrielle européenne.

Au final, Galileo est la première infrastructure commune produite et financée par l’UE, qui en est également propriétaire. La Commission européenne gère et supervise le projet par l’intermédiaire d’une agence (EUSPA), autorité européenne de surveillance. Le contractant principal est l’Agence spatiale européenne de nature intergouvernementale. Mi 2024, avec le positionnement de 30 satellites, dont 6 de rechange, le système est pleinement opérationnel. Toutefois, dix années ont été gaspillées, certains faisant valoir que l’avantage comparatif européen et l’avance du système par rapport aux systèmes concurrents (six à huit ans) ont été perdus. Et l’Union est en train de perdre son avance (en 2024, elle a dû faire appel aux lanceurs américains Space X).

L’UE a‑t-elle aujourd’hui dix années à perdre alors qu’elle décroche vis-à-vis des autres grands ensembles économiques ? Fin 2024, trois rapports1 s’accordaient sur ce décrochage et sur l’urgence pour l’Union de remédier aux failles dans sa sécurité économique et son autonomie stratégique. Dans l’un de ces rapports, Mario Draghi annonce que, sauf rattrapage urgent et déterminé, l’UE est condamnée à une « lente agonie » : il lui faut une politique industrielle intégrée en faveur de l’innovation et de la compétitivité, ce qui requiert un besoin d’investissement de quelque 800 milliards d’euros par an, c’est-à-dire 4 à 5% du PIB européen. Pour le seul domaine spatial, compétence partagée avec les États membres depuis le traité de Lisbonne, près de 15 milliards d’euros sont consacrés par l’UE sur la période 2021–2027, dont environ 9 milliards pour Galileo. Mais les financements sont insuffisants (le budget de l’UE pèse 1% du PIB) et fragmentés : l’essentiel étant issu des budgets nationaux, le risque est de multiplier les doublons et de perdre les économies d’échelle.

Les solutions existent, nouvel emprunt commun sur le modèle du plan de relance post Covid de 2020 ou mobilisation de l’ample épargne européenne qui est actuellement mal allouée et peu sollicitée. L’histoire du GPS européen donne une idée des combats du présent et de l’avenir. Avec la nouvelle donne géopolitique, la défense de nos intérêts stratégiques n’autorise pas la tergiversation, ni la rivalité entre égoïsmes nationaux. Elle requiert au contraire coopération et détermination, en assumant les coûts immédiats de notre autonomie, en évitant de répéter les erreurs du passé. C’est ainsi que l’Europe gagne.

1 Mario Draghi sur la compétitivité de l’UE (The Future of European Competitiveness), Enrico Letta sur le marché intérieur (Much More Than a Market) et Sauli Niinistö sur la sécurité et la dense européennes (Safer together: A path towards a fully prepared Union).

Publié par Catherine Vieilledent dans Catherine Vieilledent, CECI dit, Les contributeurs, 0 commentaire

75 ans d’Europe mais peu de sentiment d’appartenance

Il y à 75 ans Robert Schuman proclamait, dans le salon de l’Horloge du Ministère des Affaires étrangères sa mémorable déclaration qui allait changer le visage, l’image et les rivages de l’Europe. Seulement cinq ans après la fin de la guerre avec l’Allemagne nazie naissait, à l’ouest du continent une entité politique inédite et originale dans l’histoire du monde alors que l’Est s’enfermait dans le soviétisme. La volonté des dirigeants politiques de l’époque était, en premier lieu, de créer un espace de paix et de stabilité. La communauté des Européens ne pouvait exister que par la réconciliation entre la France et l’Allemagne. Les fondateurs en étaient convaincus. Le premier chancelier allemand Konrad Adenauer s’est immédiatement engagé. Ces hommes avaient une vision du monde à venir. Le paradigme de l’unité européenne espéré depuis des décennies voyait le jour ce 9 mai 1950 et perdure aujourd’hui. La première visite officielle à l’étranger du chancelier Friedrich Mertz à Paris en est, s’il en faut, une preuve de cette volonté franco-allemande de faire avancer le projet européen.

Dès le début la construction européenne est fondée sur des valeurs fortes qui portent cette unité nouvelle. Nous les rappelons à chaque fois que cela est possible : la paix fondatrice, la liberté, la démocratie et la justice auxquelles s’ajoutent le respect de la dignité humaine et des droits de l’homme, l’égalité, l’État de droit qui garantissent une société basée sur le pluralisme, la tolérance, la solidarité et la non-discrimination. Préceptes fondamentaux partagés par les 450 millions d’européens et ingrédients centraux d’une culture commune encore trop peu connue et acceptée.

C’est sur ce socle de valeurs que repose notre citoyenneté européenne. Une citoyenneté commune qui complète notre nationalité sans jamais la remplacer. Mais c’est une citoyenneté qui offre un corpus de droits. On les connaît : la libre circulation, possibilités d’études, de travail et d’installation dans les autres pays membres, éligibilité et droit de vote pour les élections locales et européennes, représentation consulaire. On peut y ajouter l’initiative citoyenne européenne (ICE).

Cette citoyenneté on la reconnaît par les symboles que sont le drapeau, l’hymne, la monnaie, le passeport ainsi que la Journée de l’Europe du 9 mai et la devise forte : unie dans la diversité. Elle signifie que chaque peuple a et garde sa culture et chacun participe, selon les valeurs adoptées, à la construction de l’entité politique commune.

Mais est-ce pour autant qu’existe un vrai sentiment d’appartenance à l’UE ? Rien n’est moins sûr. Il semble, en tout cas, moins fort qu’il n’a été. Citoyens européens nous sommes certes. Mais nous pouvons nous interroger : existe-t-il une forte conscience collective pour nous unir ? Les valeurs sont-elles partout communes ? la montée des extrêmes droites dans plusieurs pays nous questionnent.

Faire du 9 mai un jour férié et chômé pour tous les Européens

Ces valeurs, nous en avons les symboles sous les yeux tous les jours mais c’est manifestement insuffisant. D’ailleurs sont-elles intégrées dans les consciences ? Sommes-nous éduqués à l’importance de l’Union européenne à un moment où le monde est en train de basculer et au moment où les particularités sont en insurrection ? Sur la couverture du passeport il est écrit en Union européenne. Mais peut-être faut-il voyager dans un pays tiers à l’UE pour se rendre compte de notre appartenance et des avantages de l’Union. Schuman avait dit : «  la Communauté européenne n’a pas vocation à devenir un État ». Et personne ne le souhaite ou l’évoque aujourd’hui. Tout au plus parlons-nous de fédéralisme ou de confédéralisme. Les mots font peur alors que dans l’entre-deux-guerres c’était un débat récurrent qui s’est quelque peu poursuivi ensuite. Pourtant l’Europe avance chaque jour, crises après crises qui sont constitutives d’une Europe puissance. Chaque État a transféré des compétences vers la dimension supranationale, gérées souverainement par chaque et l’ensemble des pays membres.
Face à la Russie de Poutine, les USA de Trump ou la Chine de Xi, la situation géopolitique internationale que nous connaissons ouvrent le regard que portent les Européens sur leur Union. Mais, il faut bien le reconnaître, nous ne regardons pas tous les situations avec le même regard. Il n’y a pas toujours d’européanité. Il manque quelque chose de fort à tous les Européens pour vivre pleinement en tant que tel et avec fierté. La Journée de l’Europe est le temps idéal mais pour ce faire, pour connaître une efficacité le 9 mai devrait, doit devenir un jour férié pour tous les Européens. Le Parlement européen en a convenu mais pas les États. Le 9 mai n’est donc pas un jour férié officiel en France ou dans la majorité des pays européens, mais seulement un symbole de l’unité et de la paix européennes. Elle reste une simple journée de célébration, d’événements, de manifestations, et de sensibilisation à l’Union européenne. Ce n’est pas assez pour développer un sentiment d’appartenance et la reconnaissance de l’existence d’une culture commune. Il faut aller beaucoup plus loin et plus fort. Il y a encore du chemin à parcourir.

Publié par Emmanuel Morucci dans CECI dit, Emmanuel Morucci, Les contributeurs, 0 commentaire

L’Europe nous mérite car les points nous unissent

Vous avez quatre heures. Ce ne sera peut-être pas trop pour chercher, organiser et articuler paramètres historiques, culturels et économiques sur fond de stratégies sociologiques et géo-politiques, et répondre ainsi à l’analyse demandée. Le défi est à la hauteur de la pensée dont l’auteur n’a à ce stade pas été divulgué. Peu importe, les éléments ne manquent pas pour se lancer et construire un raisonnement profond et argumenté.
On imagine alors, à quelques semaines d’une fin d’année de travail scolaire ou universitaire, lycéens impliqués ou étudiants documentés s’atteler à fournir un résultat qui ne manquera ni de corps ni d’esprit tant le propos initial se montre à la fois simple et ambitieux. Ce ne sont pourtant pas toujours les tâches les plus faciles à réaliser.

L’Europe nous mérite-t-elle ?

Guidés par des valeurs portées par des initiateurs audacieux, les citoyens que nous sommes ont su montrer le meilleur d’eux-mêmes et ainsi, ensemble, démontrer que nous étions capables de grandes choses qui se traduisent dans le quotidien, des coopérations industrielles ou spatiales aux protections numériques, des parcours d’études corrélés à Erasmus aux couvertures médicales lors d’un séjour dans un pays voisin pour ne citer que ces exemples.
Certes, aujourd’hui ces avancées nous semblent définitivement évidentes comme si elles avaient toujours existé et d’ailleurs, cela tombe sous le sens, comment pourrait-on faire autrement ?

Faciliter le quotidien par une circulation et des déplacements que l’on n’imaginerait plus contraints par une nécessaire anticipation administrative, ou encore par des échanges commerciaux sur fond de monnaie unique, nous rend proches les uns des autres au point que les compagnies aériennes ont compris leur intérêt à mettre en place des liaisons entre pays voisins bien plus séduisantes que d’inciter à rester dans le périmètre national. Il est souvent devenu plus simple, et moins onéreux, pour un Auvergnat ou un Breton de taquiner les frontières intérieures européennes le temps d’un espace de vacances plutôt que d’envisager un accès ferroviaire pour quelques jours de vie parisienne.

Garantir la paix entre pays autrefois belligérants nous protège des fléaux guerriers et dévastateurs dignes d’une période où l’on ne savait parler qu’avec les armes. Notre réconciliation durable comme l’a voulue Robert Schuman nous met à l’abri de tensions guerrières entre nous, ce qui n’est pas rien. Certes, pour nous citoyens européens qui pour la plupart n’avons connu la guerre qu’au travers des récits transmis par nos aînés, cela nous paraît d’une évidence assumée. Pourtant, les peurs ressenties et partagées dues aux agressions cruelles et dévastratrices menées en Ukraine, pays frontalier de l’Union européenne, par le dictateur russe nous font craindre une escalade dans laquelle nous pourrions être entraînés. Cette perspective se trouve activée en cela par les turbulences inopinées du chef d’État américain à l’allure d’électron libre, loin des valeurs de paix et de l’esprit défenseur de ses courageux aînés qui n’ont galvaudé ni leur engagement ni leur sens des responsabilités.
Nous vivons un temps de désordre et de déstabilisation forte au point que l’on rendrait coupable notre Union de ne pas disposer de moyens de défense que nos propres gouvernements n’ont pas voulu lui donner. Un peu de cohérence, s’il vous plaît.
Cela dit, nous pouvons être fiers des étapes déjà franchies même si le chemin est loin d’être accompli. Nous avons prouvé être capables du meilleur quand nous savions nous mobiliser. Jean Monnet ne disait pas autre chose quand il pressentait que « l’Europe se ferait dans les crises, et qu’elle serait la somme des solutions qu’on apporterait à ces crises. » C’est pourquoi, même si un « peut mieux faire » ou encore « peut faire plus et mieux » serait une observation plus pertinente, nous pouvons être fiers du travail déjà réalisé et en cela l’Europe nous mérite par la confiance que nous avons su lui porter.

Des points partagés aux points reliés

Le projet européen repose avant tout sur la prise de conscience d’un rapprochement nécessaire entre nous, voisins du Vieux Continent. S’il est opéré dans maints domaines, il n’est pas toujours conscientisé ou même compris. Et pourtant, qui sommes-nous d’autres aujourd’hui que des membres d’une même et nombreuse famille ?
À l’instar de nombre d’Alsaciens, Italiens ou Suisses qui ont répondu à l’appel du roi espagnol Charles III à venir s’installer dans les terres andalouses à la fin du XVIIIe siècle, nous nous sommes rassemblés, retrouvés, unis dans une destinée souvent de survie ou de quête d’une vie meilleure. En quittant ainsi à quelques années de ce qui allait devenir la Révolution française leurs plaines, collines ou montagnes pour changer d’environnement et venir braver les chaleurs sèches de la pointe ibérique en y développant de multiples cultures dans les champs qui n’attendaient qu’à produire, ces migrants d’un autre temps ont non seulement répondu aux besoins d’un territoire qui cherchait bras et courage pour nourrir ses sujets, mais créé une communauté qui aujourd’hui et depuis bien longtemps fait socle. Deux siècles et demi plus tard, les hommes et les femmes qui y vivent, s’ils sont bien entendu Espagnols, ne renient pas leurs origines, bien au contraire. Fiers de cette histoire, ils ont gardé d’elles des consonnances ancrées jusque dans leurs noms de famille, mais aussi des signes génétiques faisant parfois côtoyer dans une même fratrie le bleu clair et le marron foncé des regards.

Tels des points d’une œuvre artistique collective ou encore des entrelacs composant des motifs d’un travail couturier, à l’image des lieux et endroits d’une carte européenne qui ne saurait mentir en révélant les maintes voies construites ne menant pas seulement à Rome, ces points ancrés dans les paysages variés de notre espace partagé permettant de nous relier les uns aux autres sont aussi les valeurs que nous défendons et portons haut et fort : ils forment nos points communs, autant de convergences et de signes d’appartenance à ce destin lui aussi commun.
Encore une fois, la partition écrite par Jean Monnet révélait une limpide clairvoyance quand il déclarait « Nous ne coalisons pas des États, nous unissons des hommes. »
Autant de territoires connectés, autant de femmes et d’hommes reliés, partageant une histoire commune pour un temps, celui d’une période ou d’une vie, voire même d’une descendance.
Quel sens alors donner aux velléités de renforcement ici ou là de nationalismes exacerbés, si ce n’est la traduction d’un triste repli sur soi, à l’allure d’enfermement dans un passé réinventé ou dans la réécriture d’une Histoire qui n’a d’écho que dans un mythe ? Si l’uniformité a du sens, c’est dans les valeurs défendues et portées aux quatre coins de l’UE, et certainement pas dans la narration d’un prétendu passé uniforme entre nous ni d’un présent dépourvu de particularités. Bien au contraire, notre Histoire s’est construite par tissages et articulations entre « des » Histoires locales, régionales et nationales nourries de diversités qui font traces, et que l’on retrouve aujourd’hui partout, des paysages aux modes de vie, des rivages aux monuments des villes, des langues aux traditions culinaires.
Plus souvent suscités que volontaires, les mouvements de population au cours des siècles ont, sur fond de nécessité et souvent de survie, de fait provoqué des rencontres et par là-même fait se téléscoper traditions et coutumes, faisant naître de nouvelles identités inopinées sur des territoires dédiés : la diversité de nos identités et de nos citoyennetés y trouve source.Nous nous sommes construits en famille, en peuple européen, comme en témoignent la couleur de nos cheveux et de nos yeux, nos prédécesseurs s’installant plus ici et d’autres plus là.
Alors oui, les points nous unissent : nos points communs comme autant de valeurs convergentes, nos résultats et nos scores de réussite dès lors que nous faisons corps, nos particularités revendiquées et reliées par ces réseaux de toutes natures.

Gabin l’Européen

La devise de l’UE est le pur reflet de cette réalité qui n’oppose en rien les identités mais au contraire les fait vivre telle une famille accueillante et célébrant les siens.
« Unie dans la diversité », l’Europe sait ce qu’elle vaut et ce qu’elle veut. À quelques jours du 9 mai, jour anniversaire de la Déclaration de Robert Schuman il y a 75 ans, la devise résonne plus que jamais pour traduire le sens du projet européen.
75 bougies pour célébrer l’audacieuse volonté d’une réconciliation durable s’il en est, à la hauteur des enjeux.

La construction européenne se poursuit et c’est l’affaire de tous, là aussi regroupés dans nos diversités, quelles que soient nos histoires, nos modes de vie, nos âges, etc.
S’il n’est jamais trop tard pour faire l’Europe, il n’est jamais trop tôt non plus.
L’heure est venue de divulguer l’auteur de cette réflexion initiale « L’Europe nous mérite car les points nous unissent » : nous la devons à un jeune de 10 ans, élève de CM2.
Bravo Gabin !

Publié par Marie-Laure Croguennec dans CECI dit, Les contributeurs, Marie-Laure Croguennec, 1 commentaire

Le CECI fête le mois de l’Europe 2025

Le Joli Mois de l’Europe 2025 se déroule tout au long du mois de mai 2025, avec pour objectif de valoriser l’Europe dans notre quotidien, de mettre en avant les projets soutenus par les fonds européens, les structures en lien avec l’Europe, et de promouvoir la mobilité européenne.

Célébration de la Journée de l’Europe
Le 9 mai 2025 marque le 75e anniversaire de la Déclaration Schuman, qui a posé les bases de l’Union européenne.

Le CECI organise ou participe à des événements pour faire découvrir les actions et actualité européennes :

  • 28 avril : rencontre avec les élèves de CM2 de l’école St Pierre à Plougastel-Daoulas.
  • 5 mai : « l’Europe au quotidien » à l’invitation du Comité de jumelage de Guipavas.
  • 6 mai : rencontre avec les collégiens de Sainte Ursule à Cléder et Notre dame d’Espérance à Saint Pol de Léon.
  • 9 mai : célébration de la Journée de l’Europe.
  • 22 mai : rencontre de Gérard Vernier et Patrice Obert auteurs de « L’Europe et ses défis » publié chez l’Harmattan avec des lycéens de la Croix Rouge à Brest puis conférence publique à la librairie Dialogues (en partenariat avec Brest Métropole dans le cadre du mois de l’Europe).

Publié par Cercle CECI dans Annonces, CECI dit, CECI fait, Cercle CECI, Les contributeurs, 0 commentaire

Friedrich Merz vor dem gordischen Knoten der deutschen und europäischen Politik

„Du hast keine Chance, also nutze sie!“1

Der „gordische Knoten“ steht hier für eine deutsche und europäische politische Gemengelage voller Widersprüche, die zudem vielfach miteinander verknüpft sind. Dazu gehört z.B., dass Friedrich Merz sich im Wahlkampf als Entscheider und Macher, als CEO der Deutschland-AG, inszeniert hat, der Probleme anpackt und schnell löst, obwohl klar war, dass er mit einer Partei koalieren muss, die viele seiner Ideen ablehnt. Die Gegensätze zwischen CDU und SPD lassen sich grob so beschreiben : Die Liberal-Konservativen der Merz-CDU geben Freiheit den Vorrang vor Gleichheit, für sie geht privat vor Staat, Leistung vor Verteilung, Subsidiarität vor Solidarität und Verantwortungs- vor Gesinnungsethik. Sozialdemokraten sehen dies genau umgekehrt. Durch die Mitarbeit der bayerischen CSU unter ihrem Parteichef Markus Söder vertiefen sich diese Gräben noch mehr, insbesondere weil er permanent eine staatskeptische Haltung propagiert und gleichzeitig fordert, dass eine gute Regierung alle Probleme lösen müsse.

Für Friedrich Merz gilt hingegen vor allem, dass er als engagierter Verfechter der Schuldenbremse und der deutschen Wirtschaft jetzt eine Wirtschaftspolitik machen muss, die mehr auf Binnen-nachfrage in Deutschland und Europa setzt und die noch viel zu großen Barrieren des EU-Binnenmarkts, die oft von deutschen Unternehmen mit Zähnen und Klauen verteidigt werden, einreisst. Also nichts weniger als eine fundamentale Neujustierung des bisherigen deutschen Geschäftsmodells.

Bislang (im Wahlkampf und in den öffentlichen Diskussionen danach) noch völlig unbeachtet ist die Tatsache, dass es – „unter der Bettdecke“ gewissermaßen – noch weitere erhebliche Probleme gibt, die in den nächsten Jahren zunehmend wichtig werden : einen gigantischen Berg an verdeckten Verbindlichkeiten für Renten, Pensionen und die Gesundheitsversorgung der alternden Gesellschaft zum Beispiel. Diese Verpflichtungen werden von Fachleuten auf über 400 Prozent des BIP geschätzt. Daneben dürfte der Wunsch nach einer Wiederbelebung der Wehrpflicht mit dem Bedarf der Wirtschaft an Fachkräften kollidieren ; die naheliegende Lösung – mehr Zuwanderung – dürfte wiederum mit dem derzeit gepflegten Migrationsdiskurs nicht zu verbinden sein.
In der Außenpolitik muss der überzeugte Transatlantiker Merz sich mit einem EU- und Deutschenfeind im Weißen Haus auseinandersetzen und die Idee des freien Westens gegen Trump und Putin gleichzeitig verteidigen. Derzeit sind seine Versuche einer Kurskorrektur und eines Übernehmens der Traditionen von Adenauer und Kohl so stark, das manche Zeitungen ihn schon als „Gaullisten aus dem Sauerland“ beschreiben. Und das in einer vermuteten Koalition mit einer SPD, sie sich zu Zeiten von Scholz und Biden fest an die USA und deren Strategien gebunden hat.

In der EU hat Merz neben seinen intensiven Kontakten zu Macron auch so beste Voraussetzungen seine Ideen voran zu bringen : Die Kommissionspräsidentin, 13 der 27 EU-Kommissare, die Mehrheiten in den Ministerräten gehören ebenso zu seiner Parteienfamilie der EVP wie die stärkste Fraktion im EU-Parlament. Und diese erwarten von ihm, dass er seine „disruptive“ Politik fortsetzt und das „german vote“, mit dem viele Entscheidungen in der EU blockiert wurden, beendet und die bisherigen Tabus in der Verteidigungs- und Fiskalpolitik hinter sich lässt. Und das sind noch lange nicht alle Zwänge und Widersprüche, die sich da als „gordischer Knoten“ vor Friedrich Merz auftürmen !

Und anders als Alexander der Große kann er diesen Knoten nicht mit einem Hieb durchschlagen ; denn in der deutschen Kompromiss-Demokratie muss er, der Olaf Scholz mal als „Klempner der Macht“ verhöhnt hat, jetzt zeigen, dass er nicht nur das große Ganze im Blick hat, sondern auch die kommunikativen Röhren und Stellschrauben kennt und bedienen kann, die in diesen wilden Zeiten für den Zusammenhalt unseres Gemeinwesens so wichtig sind. Denn es braucht in Deutschland und Europa jetzt eine fähige, starke, durch und durch demokratisch denkende Führungskraft, die für die drittgrößte Volkswirtschaft der Welt und Europa eine klare und einheitliche Zukunftsvision hat. Die die richtigen kreativen und effizienten Problemlöser um sich versammelt und zusammen das System von Grund auf erneuert und fit für die Zukunft macht. Angesichts der drohenden „Alternative für Deutschland“ und Europa durch die Trump-Putin- Doktrin, die für die EU dieselbe Zukunft wie für die Ukraine plant : Zerstörung des Bestehenden und Installierung von möglichst vielen moskauhörigen Marionettenregierungen in Budapest, Rom, Berlin, Paris, Wien, Bratislava, .. bleibt uns nichts anderes übrig als zu hoffen, dass Friedrich Merz zu dem Friedrich dem Großen wird als den er sich schon seit langem sieht.
Zudem müssen auch wir an der demokratischen Basis europäisch zusammen stehen, denn von dem beschriebenen Schreckensszenario sind wir sind alle bedroht. Demgegenüber kann demokratische Hoffnung nur konsequent aufklärerisch sein und mit gedanklicher und gesellschaftlicher Aktivität verbunden,sein. Und das heisst eben auch : mit Arbeit und mit der Bereitschaft, Verantwortung zu übernehmen. Der Bereitschaft, selber zu denken, aber nie nur an sich allein. So wird es uns gelingen, Ideen und Konzepte für ein anderes Europa zu entwickeln, zu diskutieren und in die politische Debatte einzuspeisen.

1 Ein Spontispruch der 70er und 80er Jahre des letzten Jahrhunderts, mit dem in Zeiten extrem hoher Jugendarbeits-losigkeit die penetrant optimistische Individualisierung eines zentralen gesellschaftlichen Problems ins Lächerliche gezogen wurde

Da die politischen Ereignisse sich derzeit überschlagen und von jetzt auf gleich wegweisende Entscheidungen verkündet werden, dokumentiere ich lieber den Zeitpunkt, an dem ich dies schreibe : Freitag, 14. März 2025, ca. 14.00h

Publié par Alfons Scholten dans Alfons Scholten, CECI dit, Les contributeurs, 0 commentaire

Friedrich Merz face au nœud gordien de la politique allemande et européenne

« Tu n’as aucune chance, alors ! »1

Le « nœud gordien » représente ici un mélange politique allemand et européen plein de contradictions, qui sont en outre souvent liées entre elles. On peut citer par exemple le fait que Friedrich Merz se soit mis en scène pendant la campagne électorale comme un décideur et un homme d’action, le CEO de la Deutschland-AG, qui s’attaque aux problèmes et les résout rapidement, alors qu’il était clair qu’il devrait former une coalition avec un parti qui rejette nombre de ses idées. Les contradictions entre la CDU et le SPD peuvent être grossièrement décrites ainsi : les libéraux-conservateurs de la CDU de Merz donnent la priorité à la liberté sur l’égalité, pour eux le privé prime sur l’État, la performance sur la répartition, la subsidiarité sur la solidarité et l’éthique de responsabilité sur l’éthique de conviction. Les sociaux-démocrates voient les choses exactement à l’inverse. La collaboration de la CSU bavaroise, sous la houlette de son chef de parti Markus Söder, ne fait qu’accentuer ces clivages, notamment parce qu’il propage en permanence une attitude sceptique vis-à-vis de l’État tout en exigeant qu’un bon gouvernement résolve tous les problèmes.

Pour Friedrich Merz, en revanche, il s’agit avant tout, en tant que défenseur engagé du frein à l’endettement et de l’économie allemande, de mettre en place une politique économique qui mise davantage sur la demande intérieure en Allemagne et en Europe et qui fasse tomber les barrières encore bien trop importantes du marché intérieur de l’UE, souvent défendues bec et ongles par les entreprises allemandes. En d’autres termes, rien de moins qu’un réajustement fondamental du modèle économique allemand actuel.

Jusqu’à présent (pendant la campagne électorale et dans les débats publics qui ont suivi), le fait qu’il existe – « sous la couette » en quelque sorte – d’autres problèmes considérables qui deviendront de plus en plus importants dans les années à venir a été totalement ignoré : une gigantesque montagne d’engagements cachés pour les pensions, les retraites et les soins de santé d’une société vieillissante, par exemple. Les spécialistes estiment ces engagements à plus de 400 pour cent du PIB. Par ailleurs, le souhait de relancer le service militaire obligatoire risque de se heurter aux besoins de l’économie en main-d’œuvre qualifiée ; la solution évidente – plus d’immigration – risque à son tour de ne pas être compatible avec le discours actuellement tenu sur l’immigration.
En politique étrangère, Merz, transatlantique convaincu, doit faire face à un ennemi de l’UE et des Allemands à la Maison Blanche, tout en défendant l’idée d’un Occident libre contre Trump et Poutine. Actuellement, ses tentatives de corriger le tir et de reprendre les traditions d’Adenauer et de Kohl sont si fortes que certains journaux le décrivent déjà comme un « gaulliste du Sauerland ».
Et cela dans une coalition présumée avec un SPD qui, à l’époque de Scholz et Biden, s’est fermement engagé auprès des États-Unis et de leurs stratégies.

Au sein de l’UE, outre ses contacts intensifs avec Macron, Merz dispose ainsi des meilleures conditions pour faire avancer ses idées : la présidente de la Commission, 13 des 27 commissaires européens, les majorités dans les conseils des ministres appartiennent autant à sa famille de partis du PPE que le groupe le plus fort au Parlement européen. Et ces derniers attendent de lui qu’il poursuive sa politique « disruptive », qu’il mette fin au « vote allemand » qui a permis de bloquer de nombreuses décisions au sein de l’UE et qu’il laisse derrière les tabous actuels en matière de politique de défense et de politique fiscale. Et c’est loin d’être la totalité des contraintes et des contradictions qui s’accumulent comme un « nœud gordien » devant Friedrich Merz !

Et contrairement à Alexandre le Grand, il ne peut pas trancher ce nœud d’un seul coup ; car dans la démocratie de compromis allemande, celui qui s’est un jour moqué d’Olaf Scholz en le qualifiant de « plombier du pouvoir » doit maintenant montrer qu’il n’a pas seulement une vue d’ensemble, mais qu’il connaît et peut aussi actionner les tuyaux et les vis de réglage communicatifs qui sont si importants en ces temps sauvages pour la cohésion de notre communauté.
Car l’Allemagne et l’Europe ont désormais besoin d’un gouvernement capable, fort et foncièrement démocratique. Un dirigeant qui a une vision claire et cohérente de l’avenir de la troisième économie mondiale et de l’Europe. Qui rassemble autour de lui les bonnes personnes créatives et efficaces pour résoudre les problèmes et qui, ensemble, renouvellent le système de fond en comble et le préparent pour l’avenir. Face à la menace d’une « alternative pour l’Allemagne » et l’Europe par la doctrine Trump-Poutine, qui prévoit pour l’UE le même avenir que pour l’Ukraine : la destruction de l’existant et l’installation d’un maximum de gouvernements fantoches moscovites à Budapest, Rome, Berlin, Paris, Vienne, Bratislava… il ne nous reste plus qu’à espérer que Friedrich Merz devienne le Friedrich le Grand qu’il se voit être depuis longtemps déjà.
En outre, nous devons nous unir à la base démocratique européenne, car nous sommes tous menacés par le scénario d’horreur décrit. Face à cela, l’espoir démocratique ne peut être que résolument éclairé et lié à l’activité intellectuelle et sociale. Et cela signifie aussi : avec du travail et la volonté d’assumer des responsabilités. La disposition à penser par soi-même, mais jamais seulement à soi-même. C’est ainsi que nous parviendrons à développer des idées et des concepts pour une autre Europe, à en discuter et à les intégrer dans le débat politique.

1 Un slogan des années 70 et 80 du siècle dernier qui, à une époque où le taux de chômage des jeunes était extrêmement élevé, tournait en ridicule l'individualisation optimiste d'un problème social central.

Étant donné que les événements politiques s’accélèrent actuellement et que des décisions importantes sont annoncées d’un moment à l’autre, je préfère documenter le moment où j’écris ceci : vendredi 14 mars 2025, vers 14h00.

Publié par Alfons Scholten dans Alfons Scholten, CECI dit, Les contributeurs, 1 commentaire

Le cynisme d’une Amérique aux abois…

La scène était à ce point inacceptable qu’elle est d’entrée de jeu passée dans l’histoire de la diplomatie et sans doute dans l’histoire tout court. Voir le président de l’Ukraine humilié et injurié comme il l’a été dans le bureau ovale de la Maison Blanche est l‘illustration même du cynisme américain tel qu’on le retrouve à la moindre incartade hors des chemins battus du protocole. Et cela, dans les lieux mêmes où, quatre ans plus tôt, Donald Trump avait lancé ses partisans à l’assaut des lieux officiels d’un pouvoir que les électeurs venaient de lui refuser ! Et le coup était bien monté, diaboliquement orchestré : pour avoir beaucoup fréquenté ces sphères des entretiens de haut niveau, je puis en témoigner en relevant quelques détails qui semblent avoir échappé à beaucoup d’observateurs, tant les coups d’éclat étaient mûrement calculés et époustouflants.

En premier lieu, les ordonnancements du protocole ont toujours un côté immuable, patiné par l’expérience et lourd de sens : on se souviendra longtemps de la scène à Ankara où le Président turc Erdogan attire ses deux visiteurs de l’exécutif européen, le Président du Conseil Michel et la Présidente de la Commission Mme von der Layen, pour un entretien face aux caméras : stupeur de la délégation européenne à son arrivée sur le plateau officiel : il n’y a qu’un siège pour les deux représentants, manière pour l’invitant de ridiculiser cette répartition des pouvoirs dans l’ensemble institutionnel bruxellois. Avec sans doute aussi en toile de fond le pied-de-nez au fait qu’une femme puisse prétendre exercer des pouvoirs aussi étendus, et damer le pion à son vis-à-vis masculin, dans un pays où sévit encore la chasse gardée masculine, sans entrave ni partage. Et non moins grande stupeur des observateurs et de la Présidente de la Commission quand le Belge Charles Michel s’assied dans l’un des deux fauteuils sans se soucier de sa vis-à-vis. Il s’est ce jour-là frappé à vie d’un ridicule qui aurait dû le conduire à démissionner mais qui, à défaut, l’a mené à une répudiation unanime, sans appel et définitive : la fin de son mandat en a été ternie et jamais il n’a été question de le reconduire dans des fonctions durablement éclaboussées tandis que l’oubliée du jour était plébiscitée unanimement pour un nouveau quinquennat !

De la même manière à Washington : la mise en scène avait été peaufinée pour entrainer le Président ukrainien dans la fosse aux outrages et à l’humiliation. D’abord, il est clairement établi qu’en cas d’entretien à haut niveau, le nombre d’intervenants doit être égal dans chaque camp, et que seul un délégué prend la parole. En laissant le vice-président Vance interpeller le visiteur ukrainien, D. Trump enfreint une première règle de savoir-vivre diplomatique. Pire encore, en permettant à un journaliste manifestement bien chapitré au préalable, d’interpeller M. Zelensky, et en des termes vifs complètement hors de propos et de lieu là encore, il donne l’impression, manifestement bien calculée, que son visiteur est aux abois et que lui seul, D. Trump, est à même de le protéger contre les autres et contre lui-même. On le voit, le protocole n’est pas fait que de ronds-de-jambe, et quand bien même : ceux-ci ont leur raison d‘être et de perdurer. Ils visent à permettre des échanges sereins, et à mettre sur un pied d’égalité, fût-il illusoire et temporaire, les interlocuteurs du moment. M. Zelensky était allé à Washington, pas à Canossa.

Pire : dans le choix des mots, volontiers blessants et qui relevaient du vocabulaire de saloon et non de chancellerie, D. Trump a montré qu’il était resté, encore et toujours, le candidat à sa réélection, l’homme en campagne pataugeant dans un univers et une atmosphère où tous les coups sont permis, et nullement le Président attaché à la hauteur de vue de sa fonction, l’homme qui cherche à rassembler et à ressembler. : tout en lui est fait pour se distinguer et pour écraser les autres comme il le faisait si bien dans ses shows télévisés de jadis.
Telle est effectivement la mentalité du yankee de base, celui-là même qui se flatte d’avoir conquis les grands espaces de l’Ouest, le célèbre Far West, en oubliant de dire à quel prix.
Il me souvient qu’un jour de discussions acharnées avec ou contre une délégation des organisations professionnelles des farmers américains qui ne comprenaient pas, et dénonçaient véhémentement comme un scandale le fait que nous subventionnions les exploitations, généralement très modestes, dans les régions les plus défavorisées, leur permettant ainsi de vivre et de survivre, nos visiteurs clamaient que c’était là un gaspillage de l’argent public et qu’il suffisait selon eux de les laisser mourir de leur belle mort et le problème serait réglé, j’avais lancé, outré, la répartie que nous avions développé notre agriculture en défrichant les terres et en assainissant les marais et eux en massacrant les Indiens, chacun sa méthode !
C’étaient là des propos dénonciateurs et qui ne sortirent pas de la pièce et de la coulisse, mais ce qui peut s’admettre au niveau des experts est inacceptable sur le plan diplomatique et feutré des représentations officielles ! Là est toute la différence.

On mesure dans ce clash mémorable mais finalement pitoyable en soi toute la différence de mentalité entre les Américains et les Européens : nous sommes unis dans la diversité, ils sont arcboutés sur leur unité, purement artificielle si on examine leur société, mais qui est le mythe fédérateur autant que le principe directeur : on n’en est plus à la fin de la guerre de sécession !
Chez nous le dialogue avec ce qu’il peut avoir parfois d’usant et d’abusant, chez eux le modèle unique, fait de libertés mais jusqu’à un certain point : combien de leaders d’opinion, de politiciens d’hommes d’affaires liquidés dans des règlements de comptes ou des attentats jamais totalement élucidés.
Finalement on en revient à une célèbre plaisanterie qui veut que les Français aient offert aux USA la statue de la liberté, mais qu’ils l‘aient installée le dos tourné à l’Amérique pour ne pas voir ce qui s’y passe !

Publié par Philippe Tabary dans CECI dit, Les contributeurs, Philippe Tabary, 1 commentaire

UE-Mercosur, un accord commercial très controversé ! 

Genèse, contenu, processus de ratification

Le Mercosur (de l’espagnol Mercado Común del Sur ) est une alliance constituée en 1991 par l’Argentine, le Brésil, l’Uruguay et le Paraguay – rejoints par la Bolivie fin 2023. L’Accord de libre échange (ALE) UE-Mercosur, dont les négociations ont commencé en 2000, est le plus important de l’UE et concerne 730 millions de personnes. Il revêt un volet de coopération politique et un volet commercial, sous compétence de la Commission dont nous traitons ici. Après 19 ans de négociations, un accord est conclu mais il est rejeté en 2020 par 6 États-membres (EM) dont la France. En 2022, la Commission voit dans le retour au pouvoir de Lula une fenêtre d’opportunité  pour le finaliser. Les négociations reprennent jusqu’en 2024 avec l’ajout d’un protocole additionnel recèlant quelques améliorations : il intègre le climat et un engagement du Mercosur à réduire la déforestation, il met en avant les droits des peuples et leurs conditions de travail et la Commission crée un fonds de compensation d’1 Md d’euros pour les secteurs agricoles fragilisés.

Avec cet ALE, les secteurs les plus stratégiques de chaque partie bénéficieront d’une réduction progressive de 92% des droits de douane sur une période de 0 à 16 ans selon les produits. Du côté des exportations européennes qui représentent 84 milliards (Mds) d’euros et concernent 30 000 entreprises, l’abolition des barrières douanières du Mercosur génèrera un gain annuel de 4 Mds d’euros. Elles concerneront l’automobile, la chimie, la pharmacie, le textile, les cosmétiques, les transports, et les services ainsi que l’accès des grandes entreprises aux marchés publics (eau et énergie). L’UE exportera également des produits agricoles tels qu’alcools, huile d’olive et chocolat ainsi que 357 Indications Géographiques Protégées (IGP dont 64 françaises) dont l’imitation sera interdite au sein du Mercosur : nombreux fromages, beurres, viandes et charcuterie, vins et spiritueux, riz de Camargue, huîtres Marennes-Oléron, pruneaux d’Agen, lavande de Haute Provence. Le Mercosur exportera des produits agricoles dont 99 000 t de viande bovine (quota de 1,6% de la production de l’UE), 180 000 t de viande de volaille (quota de 1,4% de la production de l’UE) et 180 000 t de sucre. Ainsi que des minerais stratégiques (cuivre, lithium, cobalt, nickel, graphite, silicium) dont il détient de grandes réserves : autant de ressources dont l’UE a besoin pour ses technologies vertes (éoliennes, batteries électriques, semi-conducteurs).

Le 6 décembre 2024, Ursula von der Leyen signe l’ALE à Montévidéo, malgré le rejet du gouvernement français, ouvrant un processus de ratification dont les modalités ne sont pas encore fixées : vote de l’ensemble de l’ALE en procédure longue, (Conseil à l’unanimité avec droit de véto, puis Parlement européen (PE) puis Parlements nationaux et régionaux dans les pays fédéraux) ou séparation entre accords commercial et politique, le premier n’étant soumis qu’au vote du Conseil à majorité qualifiée (55% des EM, 65% de la population) et du PE. La France cherche à constituer une minorité de blocage de 4 EM, représentant au moins 35% de la population. Elle pourra compter sur l’Autriche et l’Irlande, voire sur l’Italie et la Pologne.

Quelques réponses aux 3 principales attaques subies par l’ALE

1) Un Accord incompatible avec la lutte contre le dérèglement climatique !

La remise en cause des longues chaînes de valeur et des échanges avec des partenaires lointains a du sens. Cet ordre commercial met en jeu des transports et une consommation d’énergie fortement émetteurs de CO2 et rend la traçabilité de l’impact environnemental des produits beaucoup plus complexe. Les voies de transport optimisées (par ex. maritimes) peuvent rassurer mais les modes de production restent préoccupants : on peut déplorer le modèle d’alimentation d’un élevage européen gavé au soja, largement importé du Mercosur et nuisible à la souveraineté alimentaire de l’UE.

Au delà de cette critique écologique, qui vaut pour l’ensemble de la mondialisation et doit conduire à raccourcir les chaînes de valeur et à relocaliser certaines activités, cet ALE est, avec celui passé avec la Nouvelle-Zélande, le premier à faire du respect de l’Accord de Paris une clause suspensive. Le Mercosur s’y engage à réduire la déforestation. La politique commerciale européenne devient l’un des instruments d’un Pacte Vert en souffrance.

2) « Automobiles contre bétail », l’agriculture est toujours la variable d’ajustement des négociations !

L’agriculture n’est pas une variable d’ajustement : les principes de l’ALE relèvent de l’histoire du commerce et l’échange « agriculture contre industrie » était au cœur de la théorie des « avantages comparatifs » de Ricardo en 1817. Il l’illustrait par les échanges du drap britannique contre le vin portugais, chaque pays se spécialisant dans son secteur le plus compétitif. Au-delà de sa composante agroalimentaire, il faut examiner l’ALE de façon globale dans tous ses bénéfices pour l’UE : industrie, ouverture de marché publics et minerais stratégiques. Un ALE est donnant-donnant, il faut éviter d’opposer les secteurs entre eux. Et s’il est un domaine français où l’agriculture est une variable d’ajustement, c’est la place minimale qui lui est faite dans le partage de la chaîne de valeur alimentaire, allant des producteurs aux distributeurs, que la loi EGALIM ne parvient pas à rehausser.

L’ALE s’inscrit dans un contexte géopolitique qui pèse sur ses négociations. La pandémie, la guerre en Ukraine, le commerce déloyal chinois et le protectionnisme états-unien ont mis en évidence les risques de la dépendance européenne. L’importation de minerais stratégiques du Mercosur permettra à l’UE de diversifier ses sources. Si la pression de négociation sur le Mercosur est trop forte, celui-ci se rétractera et la Chine (premier partenaire commercial du Brésil) sautera sur l’occasion. L’UE, qui peine à relever le défi de sa compétitivité, a besoin de cet ALE.

3) L’Accord autorise l’importation de produits agricoles ne respectant pas les normes européennes, il fragilise certaines filières !

Contrairement à ce qui est souvent reproché, toutes les conditions sanitaires en vigueur dans l’UE s’imposent au Mercosur, en application de l’accord SPS (Sanitary and Phytosanitary Standard) de l’OMC. Les mesures miroirs de la législation européenne s’imposent à tous les ALE, en particulier l’interdiction de la viande aux hormones et de l’usage des antibiotiques ainsi que les LMR (limites maximum de résidus) pour les pesticides. S’y ajoute une clause miroir, spécifique à cet ALE : une suppression des droits de douane sur les œufs, conditionnée au respect des normes de l’UE en matière d’élevage des poules pondeuses. Le risque ne réside donc pas dans la différence de normes mais dans le manque d’efficacité des procédures de contrôle : qu’ils soient effectués sur place par l’Office vétérinaire de la Commission ou aux frontières par les douanes des EM, ils sont réalisés par échantillonnage et l’UE devra progresser sur ce plan (pourquoi pas des organismes certificateurs indépendants ?). Il faut aussi reconnaître la faible prise en compte par le Mercosur du bien-être animal pour lequel seules les conditions d’abattage figurent dans l’ALE. Son instrument de coopération réglementaire permettra de progresser vers un rapprochement de toutes les normes. Et rappelons une donnée structurelle incontournable : les produits agricoles du Mercosur ont des coûts de revient très inférieurs à ceux de l’UE et sont donc plus compétitifs.

L’élevage bovin est un secteur fragile, en régression partout en Europe à l’exception de la Pologne et très affecté par les épizooties et un taux de pauvreté élevé. Il ne faut pas, pour autant, craindre une invasion des marchés européens même si l’exportation se concentre partiellement sur le segment spécifique de l’aloyau : le nouveau protocole à introduit un mécanisme « de sauvegarde » pour protéger les filières fragiles des importations massives. Et l’exemple du CETA montre que, 7 ans après la signature de l’accord commercial, le quota fixé est loin d’être atteint : le Canada a tout simplement augmenté ses exportations vers d’autres pays moins regardants sur les normes. La Commission s’est en outre engagée à mettre en place un fonds de compensation d’1 Md d’euros pour protéger cette filière, avant toute autre.

Dans sa feuille de route sur la PAC post-2027, le commissaire Christophe Hansen a décliné une dizaine de priorités dont deux ont trait aux enjeux ci-dessus : un soutien renforcé à l’élevage et une amélioration des stratégies de négociation commerciale. Espérons qu’elles feront leur chemin.

Publié par Patrick Salez dans CECI dit, Les contributeurs, Patrick Salez, 1 commentaire

Les aides d’État dans les fonds européens

Les différentes législations des 27 États membres peuvent entraîner des disparités en matière d’aides économiques octroyées aux entreprises ou à d’autres entités juridiques. C’est pourquoi le droit des aides d’État vise à encadrer ces interventions publiques, tout en prévoyant certaines dérogations permettant d’accéder aux fonds publics sous conditions.

Toute entité souhaitant bénéficier d’une aide publique – entreprise, association ou collectivité publique – doit régulièrement s’informer de l’évolution du droit européen auprès de l’autorité de gestion compétente. Avant toute demande de financement européen, il convient d’évaluer la conformité de l’aide envisagée au regard des articles 106 à 109 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE).

I. La définition et qualification d’une aide d’État

Selon l’article 107, paragraphe 1, du TFUE, une aide d’État se caractérise par quatre critères cumulatifs :

  1. L’aide est accordée par l’État ou au moyen de ressources publiques :
    Une aide peut être octroyée directement par l’État, par une collectivité territoriale ou par un organisme public. Elle peut aussi être attribuée de manière indirecte par des entreprises publiques ou des organismes contrôlés par l’État. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a précisé que la notion de ressources publiques inclut également les allègements fiscaux et exonérations (CJCE, 22 mars 1977, Steinike & Weinlig, aff. C‑78/76).
  2. L’aide confère un avantage économique sélectif :
    L’avantage accordé doit être spécifique à certaines entreprises ou secteurs d’activité et non à l’ensemble du marché. Par exemple, une exonération fiscale ciblée ou une subvention attribuée à certaines entreprises constitue un avantage sélectif (CJUE, 19 décembre 2018, A‑Brauerei, aff. C‑374/17).
  3. L’aide affecte la concurrence :
    Une aide est considérée comme affectant la concurrence lorsqu’elle renforce artificiellement la position concurrentielle du bénéficiaire par rapport à ses concurrents n’ayant pas reçu d’aide.
  4. L’aide affecte les échanges entre États membres :
    Une aide est susceptible d’affecter les échanges intra-UE dès lors qu’elle influence la compétitivité d’une entreprise sur le marché intérieur. La CJUE a précisé qu’une aide de faible montant peut également affecter les échanges si elle concerne un secteur concurrentiel (CJUE, 14 septembre 1994, Banco Exterior de España, aff. C‑387/92).

Certaines aides de faible montant échappent toutefois à cette qualification. Les aides de minimis, définies par le règlement (UE) n°2023/2831 de la Commission du 13 décembre 2023, ne sont pas considérées comme des aides d’État si elles n’excèdent pas 300 000 euros sur trois ans pour une même entreprise.

II. Le régime juridique de compatibilité des aides d’État

Si une mesure est qualifiée d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, du TFUE, elle est en principe interdite. Toutefois, certaines exceptions permettent d’autoriser ces aides sous conditions.

A. Les aides compatibles de plein droit

Conformément à l’article 107, paragraphe 2, du TFUE, certaines aides sont déclarées compatibles avec le marché intérieur :

  • Les aides à caractère social accordées à des consommateurs individuels, sous réserve qu’elles restent non discriminatoires (ex : aides au logement, RSA).
  • Les aides destinées à remédier aux calamités naturelles ou à d’autres événements exceptionnels (ex : fonds d’indemnisation pour catastrophes naturelles, mesures de soutien économique liées à la crise du COVID-19, validées par la Commission européenne dans sa communication du 19 mars 2020).

B. Les aides soumises à dérogation sous conditions

L’article 107, paragraphe 3, du TFUE prévoit des catégories d’aides pouvant être compatibles sous réserve de l’appréciation de la Commission européenne :

  • Aides au développement régional : L’UE autorise des aides aux régions les plus défavorisées, notamment celles visées à l’article 349 du TFUE (ex : départements et régions d’outre-mer).
  • Aides visant à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre : Exemple des aides aux banques lors de la crise financière de 2008 (CJUE, 11 novembre 2010, Comisión/Scottish Power, aff. C‑124/10).
  • Aides pour des objectifs d’intérêt commun : Soutien à l’innovation, à la protection de l’environnement ou aux énergies renouvelables.

C. Les exemptions à l’obligation de notification

Certaines aides sont exemptées de notification préalable à la Commission européenne, en vertu du Règlement Général d’Exemption par Catégorie (RGEC) n°651/2014, modifié en 2023. Ces aides concernent :

  • Les aides de minimis mentionnées plus haut.
  • Les aides aux services d’intérêt économique général (SIEG) : L’article 106, paragraphe 2, du TFUE autorise les compensations pour des missions d’intérêt général (ex : transports publics, service postal).
  • Les aides à la recherche, au développement et à l’innovation : Encouragement des investissements dans des secteurs stratégiques.

En conclusion, l’octroi d’une aide publique à un porteur de projet doit faire l’objet d’une analyse rigoureuse afin de déterminer sa conformité au droit de l’Union européenne. Une aide répondant aux quatre critères cumulatifs de l’article 107, paragraphe 1, du TFUE est en principe interdite, sauf si elle entre dans l’une des exceptions prévues par les articles 107, 108 et 109 du TFUE. L’autorité compétente devra veiller à la régularité de la procédure, notamment en cas d’obligation de notification préalable auprès de la Commission européenne.

Les entreprises et collectivités doivent donc anticiper ces contraintes juridiques avant toute demande de financement européen, en consultant les règlements applicables et la jurisprudence pertinente.

Publié par Franck Arnaud dans CECI dit, Franck Arnaud, Les contributeurs, 0 commentaire

Conférence internationale avec Tbilissi

Report des négociations par le gouvernement géorgien :
quelles positions politiques et juridiques pour l’UE ?

Je voudrais remercier le Docteur Ioseb Kelenjeridze, Directeur de l’Institut de Droit à l’Université Européenne à Tbilissi pour son invitation à intervenir à l’occasion de cette conférence internationale « European Union – Legal and Political Vectors ». Merci également à Vazha Kiladre qui anime notre session ainsi que Hans-Jurgen Zahorka qui a été un intermédiaire efficace et amical dans cette invitation. J’adresse mes salutations aux autres intervenants de cette conférence : Madame Nona Gelashvili et Monsieur Levan Meskhoradze.

Les questions auxquelles m’a demandé de réagir Ioseb Kelenjeridze sont de nature pluridimensionnelle : politiques, juridiques, diplomatiques et morales. 

Mon propos est celui d’un modeste observateur attentif aux situations européennes. Je dois dire qu’au moment où nous échangeons, des mesures potentielles pouvant être prises sont discutées actuellement au sein des instances européennes et entre les États membres. Il est important de rappeler que le statut de candidat a été accordé à la Géorgie le 14 décembre 2023, par les Chefs d’État et de gouvernement lors d’un sommet européen.

Pour rappel ces questionnements touchent à la loi sur les ingérences étrangères, lois contraires à la règlementation européenne. Si la Géorgie n’abroge pas ces lois, quel pourrait en être le résultat ? C’est un objet politique et juridique conditionnel à la démarche d’adhésion. L’Union européenne pourrait-elle interdire à la Géorgie les voyages sans visa ? Ou retirer le statut de candidat ?

Commençons par cette question de visa car c’est une position symbolique face à la situation en Géorgie. Actuellement, les ressortissants géorgiens n’ont pas besoin de visa pour des séjours de moins de 90 jours sous conditions de ressources et d’un passeport. Toutefois, actuellement l’UE exprime son mécontentement en menaçant de suspendre des visas diplomatiques en raison de la répression de l’opposition.

Le partenariat oriental

Avant d’aller plus loin il est important de rappeler que la Géorgie est un des pays partenaires de l’UE et participe déjà au partenariat oriental lancé en 2009. Ce partenariat vise, entre autres choses, à renforcer le dialogue politique entre l’UE et les pays partenaires, à faciliter l’intégration économique à travers des accords d’association et des accords de libre-échange, à promouvoir des réformes en matière de démocratie, de droits de l’homme et de bonne gouvernance. La situation actuelle fait que, malgré ces accords d’association en cours, la situation politique actuelle soulève des préoccupations quant à l’avenir de l’intégration européenne de la Géorgie.

Les questions que vous me posez impliquent une réflexion sur la complexité de la situation. Elles touchent à la fois à la négociation avec l’Union européenne et les actuels pays membres et à la politique intérieure de la Géorgie, et concernent le droit communautaire, la citoyenneté européenne tout comme aux identités nationales et identité commune. Elles touchent également à la conscience européenne. La liberté des ONG est primordiale dans le processus démocratique ainsi que leur coopération notamment pour celles dont l’action est liée à un rapprochement avec l’UE et à la diffusion de l’information européenne aux citoyens. On ne peut parler ici d’ingérence mais de dispositif habituel à toute candidature acceptée à la dimension politique commune. La question des élargissements est sensible car il en va également de l’unité européenne en ces périodes de turbulences économiques et politiques internationales et du respect du traité d’Union européenne abordé par Madame Nona Gelasvili. Les difficultés avec la Hongrie en sont un exemple comme peut l’être la progression dans plusieurs pays lors des élections de personnalités de droite radicale. 

Une première remarque est celle de l’exercice de la démocratie, du droit de vote et au respect des droits des citoyens. Comme vous le savez un référendum est nécessaire pour entamer les négociations d’adhésion. Ce doit être une volonté populaire et citoyenne. C’est toujours un peuple qui s’exprime et non pas seulement un gouvernement. Dans le cas qui nous intéresse c’est bien le gouvernement géorgien qui recule la date d’ouverture à 2028 contre l’avis des citoyens.

D’autres questions soulevées traitent des choix démocratiques. Celle du droit de circuler librement dans l’Espace Schengen et en UE, et celle des sanctions éventuelles pour atteintes aux droits de l’homme et à la citoyenneté. 

Les valeurs de l’UE sont inscrites dans les Traités, notamment celui de Lisbonne mais également dans le document important qu’est la Charte des droits sociaux fondamentaux des citoyens de l’UE. Pour adhérer et valider les négociations il est nécessaire de valider ce que l’on appelle l’Acquis communautaire et transposer dans le droit national l’ensemble de ces dispositions. C’est pourquoi le temps avant l’adhésion peut être long. Parfois 10 ans. Il y a également les questions économiques et sociales à prendre en compte. 

Actuellement, important est l’état de la situation et des relations avec la Russie qui mène une guerre d’agression vis-à-vis de l’Ukraine. Ce pays exprime sa volonté de rejoindre l’UE. Les États membres de l’UE ont validé le fait que les négociations s’ouvriront avec ce pays dès la guerre achevée. C’est une question fondamentale car le principe d’adhésion premier est la paix entre les membres. On peut prendre comme principe la relation fondamentale entre la France et l’Allemagne. Sans cette volonté forte, portée en 1950 par les fondateurs, sous l’égide de Robert Schuman et d’autres dont Konrad Adenauer, ce rapprochement historique, l’UE n’existerait pas. 

Les opinions publiques

La Géorgie doit se positionner sur les textes actuels. C’est la base. Mais, comme l’a dit Hans-Jurgen Zahorka, il est important de tenir compte des opinions publiques géorgienne et européenne. Toutes ne sont pas au même niveau et certaines peu favorables à un élargissement. 

Si l’UE s’engage vers d’éventuels élargissements (au nombre de 10), ils doivent être une réussite et ne concernent pas seulement un marché unique. La relation doit être du type gagnant/gagnant. Il y a d’autres dimensions relationnelles à prendre en compte comme la sécurité commune, la politique de voisinage, la défense, les relations avec le reste du monde, celles avec les BRICS (dont la Russie) et aujourd’hui particulièrement la zone indo pacifique, mais aussi les domaines de notre futur : le numérique et l’intelligence artificielle. La guerre en Ukraine est actuellement un point très sensible. 

Toutes les déclarations en UE vont dans ce sens du maintien des négociations ouvertes. Toutes regrettent clairement la déclaration d’Irakli Kobakhidze, contre la position de la présidente Salome Zourabichvili sur la décision de « Rêve géorgien » de ne pas poursuivre l’ouverture des négociations d’adhésion. Ce qui revient à rejeter le soutien financier de l’UE jusqu’en 2028. Il faut avoir conscience qu’en reprenant d’éventuelles négociations après 2028 cela ne permettra pas une entrée dans l’UE dans les deux ans. Il faudra un temps plus long, une dizaine d’années peut être. Cela passera, entre autres éléments, par l’acception des critères de Copenhague et de ce que l’on appelle l’Acquis communautaire. Le constat est que le plan d’action des autorités géorgiennes et le recul démocratique ont conduit à l’arrêt de facto du processus d’adhésion dès juin de cette année et que l’aide financière de l’UE au profit directement des autorités géorgiennes est actuellement en attente.

La position actuelle du gouvernement géorgien marque un changement par rapport aux politiques de tous les gouvernements précédents et ne répond pas aux aspirations européennes de la grande majorité du peuple géorgien, comme cela est inscrit dans la Constitution de la Géorgie.

Les médias nous montrent les images du peuple géorgien, une fois encore, manifestant en grand nombre dans les rues pour réaffirmer ses aspirations à rejoindre l’Union européenne. Bien évidemment, les Européens condamnent fermement la violence contre les manifestants pacifiques qui défendent leur avenir européen et démocratique. De fait, les actions du gouvernement géorgien ont des conséquences directes sur la relation avec l’UE et ses États membres. 

Vouloir être membre de l’Union européenne, c’est respecter les règles de l’ensemble que l’on désire rejoindre. Ce n’est pas un accord pour faire bien ou pour obtenir seulement des avantages économiques. Les implications sont nombreuses et autres : économiques bien sûr, mais aussi politiques, sociales, culturelles, diplomatiques….Et reposent sur un socle de valeurs communes et partagées. 

Ainsi, les autorités géorgiennes doivent respecter le droit à la liberté de réunion et à la liberté d’expression, et s’abstenir d’utiliser la force contre des manifestants pacifiques, des politiciens et des représentants des médias. Pour l’UE, tout acte de violence doit faire l’objet d’une enquête et les responsables être tenus pour responsables. Je constate, à la lecture des déclarations, que l’UE réitère ses graves préoccupations concernant le recul démocratique continu du pays, y compris les irrégularités qui ont eu lieu lors des récentes élections législatives. Dans ce contexte, l’UE attend avec impatience le rapport final de l’OSCE/ODIHR et ses recommandations.

Que dire encore ? Que l’UE soutient le peuple géorgien et son choix pour un avenir européen. Bien évidemment, la porte de l’UE reste ouverte, mais l’acceptation aux valeurs européennes et le retour de la Géorgie au chemin de l’adhésion à l’UE est entre les mains des dirigeants géorgiens.

Publié par Emmanuel Morucci dans CECI dit, CECI fait, Emmanuel Morucci, Les contributeurs, 1 commentaire