Tous les chemins d’Europe mènent à Compostelle

Marie-Laure Croguennec
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S’ils trouvent leur source au Moyen Âge, les chemins vers St-Jacques-de-Compostelle sont loin d’être déconnectés en ce XXIe siècle. Un franc succès, voire un engouement pour ces itinéraires empruntés que chaque marcheur s’approprie. Que les motivations soient religieuses, spirituelles, sportives, familiales, touristiques, elles fédèrent des valeurs d’humanité partagées par nombre de personnes se vêtant du costume de pèlerin le temps de ces journées de ressourcement. Un avant et un après.
Béatrice Bordeau est formatrice à l’École Supérieure d’Agriculture auprès de jeunes en reconversion professionnelle, et vit à Peuton dans le périmètre mayennais de Château-Gontier. Elle a également été agricultrice avec son mari pendant plus de 30 ans. Âgée aujourd’hui de 60 ans, elle s’est récemment mise en chemin sur cet itinéraire européen.

Crédit photo Ouest-France

Rencontre avec une pèlerine foncièrement européenne.

Vous avez dernièrement entrepris des étapes du pèlerinage vers Saint-Jacques-de-Compostelle ; quelles étaient vos motivations ?
En 2017, après trois CDD consécutifs, je quittais l’équipe qui travaillait à la formation des jeunes se spécialisant dans l’élevage laitier et porcin sur une ferme expérimentale dans le Maine-et-Loire. Cette dernière année, mon collègue a fait deux burn out consécutifs qui ont ajouté une grande charge de travail sur chacun d’entre nous. Bien que j’aie eu une grande satisfaction à exercer dans ce cadre, je finissais cette mission très fatiguée. Où me reposer ? Par un concours de circonstances, c’est Compostelle, enfoui au fond de moi, qui a surgi comme une évidence : partir, maintenant.

Avez-vous voyagé seule ou accompagnée ? Combien de temps avez-vous passé ?
Quand je décide de partir tout de suite, l’idée de trouver un compagnon de voyage est totalement absente de la préparation. Je suis partie seule, laissant mon mari un peu désemparé. Mon but était de marcher au moins un mois depuis la ville de Tours. Peu m’importait l’endroit où je me trouverais 4 semaines plus tard. Au bout d’un peu moins d’un mois, j’étais à Dax. J’ai effectué la deuxième partie du chemin en 2020 jusqu’à Compostelle en 6 semaines.

Quelles sont les conditions pour mener à bien une telle expédition ?
Aucune condition n’est requise puisqu’il n’est pas question de compétition. Je suis partie sans aucun entraînement particulier, une amie m’a prêté son sac, ses bâtons et des vêtements techniques, j’ai acheté mon guide et des bonnes chaussures et en avant pour l’aventure !
Sur les conseils de mon amie, j’ai très bien préparé la première semaine pour faire des étapes courtes et assurer les hébergements car le chemin de Tours n’est pas le mieux pourvu. Ensuite, la seule chose importante est de se mettre à l’écoute de son corps, s’arrêter quand on est fatigué, se reposer, se déchausser quand les pieds n’en peuvent plus et les plonger dans le petit cours d’eau, respirer, se laisser porter par le chemin et tous ceux que vous croisez.

Avez-vous vécu différemment les étapes sur le sol français et celles en Espagne ? Pour quelles raisons ?
Marcher a quelque chose d’universel. Chaque jour je dois répondre à des besoins basiques : trouver à manger, suivre mon chemin, trouver un hébergement pour dormir. Bien que ne parlant pas un mot d’espagnol, ce ne fut pas du tout un frein : assez vite on sait demander ce dont on a besoin. On cherche à se comprendre au-delà de la langue, l’effort est partagé !
Marcher avec son sac expose à une certaine vulnérabilité à laquelle les personnes que l’on croise sont sensibles. Les personnes renseignent, dépannent, nous lancent des encouragements que ce soit en France ou en Espagne. La plus grosse différence a été, somme toute, le fait qu’en 2020, les pays sortaient du confinement avec des exigences différentes d’une région à l’autre. Dans la région de Burgos, les gites communaux étaient fermés et même les fontaines. Ce sont des particuliers que je qualifierais de courageux car ils bravaient la peur de la contamination, qui m’ont réapprovisionnée en eau.

Concernant les échanges avec les autres pèlerins, quelles sont les principales richesses ou leçons que vous tirez ?
Marcher offre un mode de vie très simple. Dans la simplicité, les catégories sociales s’effacent, chacun chemine avec ce qu’il est, avec son bagage plus ou moins lourd ou encombrant. Les rapports humains sont à cette image, simples. On est heureux d’être ensemble, on respecte profondément la démarche de chacun ce qui se traduit par peu ou pas de questions. On partage que ce qui peut être partagé, on marche ensemble une heure, une journée, on se quitte pour toujours en laissant une trace indélébile… c’est une expérience très forte qui redonne confiance en l’autre, en l’Humain et en soi.

Avez-vous rencontré des personnes de nationalités autres que française ? Si oui, lesquelles ? Qu’en retenez-vous ?
En 2020, à cause des restrictions de circulation, j’ai rencontré sur le chemin espagnol essentiellement des Européens : Alllemands, Belges, Italiens, Suisses, Français, Espagnols…
J’ai marché pendant quinze jours avec Monica, une Slovaque. Nous avons remarqué au bout de quelques jours que nous nous fixions les mêmes étapes. La barrière de la langue n’a pas empêché la solidarité pour que la première arrivée dans la ville étape réserve une place pour celle qui arriverait plus tard. Nous utilisions des applications sur nos portables quand nous voulions nous comprendre davantage, nous avons eu nos moments d’incompréhension mais ce qui a dominé ce sont ces grands moments de silence rythmés par le son de nos pas qui nous menaient vers le même but : Compostelle. Ça suffisait à nous donner de la joie.

Quand on marche ainsi, de longues heures, de longs jours, à quoi pense-t-on ? Comment se sent-on ?
C’est bien ici le principal bienfait du chemin, très difficile à réaliser chez soi : se vider la tête.
Passer des jours et des jours à vivre en faisant très peu de choses et en pensant aux mêmes choses, marcher, manger, se diriger, admirer, s’émerveiller, à vivre au rythme de son corps, se lever, laisser les automatismes du rangement opérer, endosser son sac, se mettre en route, laisser le frimas du matin et les premières lueurs du jour éveiller nos sens ; mettre un pied devant l’autre, cheminer par tous les temps dans la vastitude procurent un repos mental profond et laissent l’esprit complètement libre. C’est une jouissance à l’état pur qui restaure corps et âme.

En vivant un tel périple, ressent-on le manque des siens ? De son environnement ? De sa région ? De son pays ? Ou au contraire se sent-on « habitant » d’un espace plus vaste ?
La vie quotidienne, le travail surtout quand il est trop conséquent, m’éloigne de mes proches pour lesquels il n’y a plus de disponibilité. Ralentir, revenir à son centre est au contraire une reconnexion bienfaisante à ceux qui me sont chers même s’ils sont loin, paradoxalement. Le cœur est entièrement disponible.
J’ai ressenti à quel point j’étais terrienne, habitante de cette partie du globe terrestre, l’espace est continu. Les pierres, le sable, les minéraux, les végétaux, les mouvements tectoniques, les astres façonnent les paysages, les habitations, les habitants, orientent les activités économiques et rien de mieux que la marche pour ressentir cette harmonie profonde. La pérégrination confronte également à la réalité que cette harmonie est bien malmenée par nos modes de vie en accélération constante.

Selon vous, en quoi cette marche s’inscrit-elle dans un parcours européen ?
Cette marche s’inscrit dans un parcours européen parce qu’elle s’inscrit d’abord dans une réalité géographique : le continent européen. Ensuite, je ne peux pas oublier qu’il y a peu, quand on passait de la France à l’Espagne, de la France à l’Allemagne ou l’Italie, il fallait des papiers, il y avait des contrôles aux frontières, il fallait changer sa monnaie. Tout ce que les politiques ont tricoté, aussi imparfait soit-il, a contribué à une fluidité entre les peuples européens, à mettre à zéro le niveau de défiance, à se reconnaître faisant partie d’un même territoire, et, plus intimement, à ne plus envisager d’être ennemis. Nous sommes les mêmes. Sur le chemin vers Compostelle, ça ne fait aucun doute.

Ce pèlerinage prend sa source au Moyen Age, à une époque où les voyages étaient bien plus rares que de nos jours. Selon vous, quelles similitudes peut-on trouver aujourd’hui avec les valeurs initiales qui per- mettaient aux pèlerins de découvrir des cultures différentes au travers des langues, modes de vie, etc. ?
Les valeurs initiales ne sont-elles pas surtout anthropologiques ? L’Humain n’aspire-t-il pas à découvrir ce qu’il y a après ses terres, après ses collines, après ses montagnes, de l’autre côté de la mer, de l’autre côté du soleil ?
N’a‑t-il pas rêvé ou cauchemardé avec les récits de ceux qui ont osé s’aventurer plus loin ? N’est-il pas épris de liberté depuis toujours, en quête d’un monde nouveau ou simplement d’inspiration ? Je suis humaine ! Je rêve de marcher de me rendre dans un Haut Lieu du patrimoine, de rencontrer des femmes et des hommes qui regardent le monde différemment, d’écouter des mélodies différentes, de m’enrichir en quittant mes certitudes…et de rentrer chez moi ! Ces fondements sont un puissant moteur au déplacement en même temps qu’ils génèrent des peurs qui laissent certains cloués au sol. La vie qui continue est transformée par cette expérience, les horizons sont élargis, le quotidien se déplace…

Selon vous, en quoi faire ce parcours contribue-t-il à construire l’identité européenne ? Le pèlerinage peut-il à vos yeux rapprocher les citoyens européens ou est-ce avant tout une aventure personnelle ?
La première fois que j’ai rencontré un grand panneau bleu indiquant « Itinéraire Culturel Européen » (ICE), une grande émotion m’a envahie : je suis citoyenne de l’Europe ! En rentrant à la maison, j’ai eu envie de créer une association jacquaire avec deux motivations : aider les personnes qui veulent se mettre en route à partir, et dire aux Mayennais qu’ils sont connectés aux ICE. Ma première idée était de mettre le siège social à la Maison de l’Europe de la Mayenne (MEM). Ce ne fut pas possible. Par contre en 2021, la MEM fé̂tait les 70 ans de la déclaration de Robert Schuman sur les 70 km de halage. Nous avons été associés à cette manifestation. Ce fut un bon moment de collaboration et d’ouverture. J’ai découvert ensuite que la coquille utilisée comme marqueur du chemin est issue de la réalité de notre continent. Elle symbolise la convergence vers un haut lieu patrimonial.
Les Chemins de Compostelle ont été les premiers Itinéraires Culturels Européens. Depuis ils suscitent bien des vocations. Il y a matière à se sentir européens sur bien des sujets. Je souligne qu’ils ne se pratiquent pas tous à pied, mais c’est bien dans la marche que se rejoignent l’aventure personnelle, la culture de mon pays dont je suis porteuse et l’intégrité de l’Europe.

Publié par Marie-Laure Croguennec

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