Europe sur Scène : le théâtre de l’Union

Marie-Laure Croguennec
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Interview de Catherine Guibourg


Née en Bretagne l’année du Traité de Rome, Catherine Guibourg a exercé son métier d’ingénieure agronome pendant vingt-cinq ans dans différents coins du monde, en Afrique et en Amérique Latine, et à Bruxelles. Elle a vécu en Asie où elle a ressenti son identité européenne, particulièrement par les langues. Auteure d’ouvrages, Le oui européen, et le non français (suite au référendum de 2005) et Hier ne finira jamais, résister hier et aujourd’hui (prix de l’Académie de Marseille en 2016).
À l’invitation du CECI, sa pièce a été donnée devant des lycéens bretons notamment au lycée La Croix Rouge La Salle à Brest et au Lycée Victor et Hélène Basch de Rennes dans le cadre des ErasmusDays.
Interview de l’auteure.

CECI : Comment est né le projet de la pièce Nous le peuple européen, six personnages en quête d’Europe ?

CG : Il y a longtemps que je voulais aborder l’Europe par la littérature. Parce que seule la littérature permet d’embrasser la complexité. L’Europe n’est pas seulement un sujet économique ou technique, il touche au plus profond, à notre condition d’homme, savoir qui nous voulons être dans la société, comment nous voulons vivre avec les autres, nos voisins européens. Voulons- nous nous replier sur nous-mêmes ? Ou pensons-nous qu’à l’heure de la mondialisation nous pouvons être plus forts ensemble, face à la Chine et sa menace sur nos démocraties, et face au changement climatique ? Après l’époque de la Seconde Guerre mondiale, du multilatéralisme et de la guerre froide, nous sommes entrés dans une nouvelle où la loi du plus fort semble faire retour, et nous ne savons pas vers où dérive cette nouvelle époque. Mais on constate deux choses : d’une part, depuis le Brexit et pour l’instant, aucun pays européen ne souhaite sortir de l’Union, même si les pays n’ont pas la même définition du mot Union. D’autre part, des écrivains de pièces de théâtre ou de romans s’emparent désormais du thème Europe. Ils ont envie de parler de ce qui les constitue. Je pense au roman de l’écrivain autrichien, Robert Menasse, La capitale, ou du Britannique, Jonathan Coe, Au cœur de l’Angleterre. Est-ce que l’Europe est en train de se défaire ? C’est possible, mais des citoyens commencent à s’emparer du sujet Europe…

Avez-vous pensé en écrivant la pièce à un public particulier ?

L’idée était plutôt de pouvoir parler d’Europe à ceux qui n’en entendent jamais parler. Il me tenait de mettre en scène l’Europe, telle qu’elle existe. L’Europe ce n’est pas seulement la France, c’est un dialogue à 27. Il ne m’était pas possible de mettre 27 personnages sur la scène, mais j’ai choisi les Européens qui me sont les plus proches : France la Française, Peter l’Allemand, Italo l’Italien, Maria l’Espagnole, Pedro le Portugais, et Pierre le Belge flamand. Chacun peut avoir une conception différente de l’Europe : il y a les plus fédéralistes, ceux qui y croient moins, jusqu’au nationaliste qui veut en finir avec l’Europe. Beaucoup de points de vue, même contradictoires, sont représentés. J’ai aussi introduit une histoire d’amour entre France, très européenne, et Pierre, nationaliste… C’était un important que les portraits touchent l’intime.

Cette pièce a été jouée en Bretagne, devant un public de lycéens dans le cadre des ErasmusDays, que retirez-vous de ces échanges ?

Je remercie tout particulièrement le lycée La Croix Rouge-La Salle de Brest, avec lequel il a été très agréable de collaborer : le public est venu très nombreux. Nous avons eu d’excellents échanges sur les langues européennes et l’intérêt d’en parler plusieurs. Pour beaucoup de nos acteurs, qui sont jeunes, cela a été une très belle expérience. Ce n’est pas tous les jours après tout qu’on parle d’Europe dans les lycées, et entre jeunes en plus. L’expérience est à renouveler, notamment autour de la fête de l’Europe le 9 mai. J’habite aujourd’hui dans le sud de la France, et je peux dire qu’il a été très agréable de travailler pour cette pièce en Bretagne, car il y a encore sur ces territoires une belle coordination entre des organisations qui jouent pleinement leur rôle : Région Bretagne, Académie de Rennes et son représentant aux relations européennes et internationales, Maison de l’Europe de Rennes, AEDE, Maison de l’Europe de Brest, CECI, Mouvement Européen, Ville de Rennes. Il est important que toutes ces organisations travaillent ensemble si elles veulent faire synergie. Car oui, l’Europe est en danger aujourd’hui !

Quelle valeur ajoutée voyez-vous dans une pièce théâtrale ? N’est-ce pas compliqué de faire venir le public en particulier celui qui n’est pas attaché à la construction européenne ? Autrement dit, ne vous adressez- vous pas à un public déjà initié et conquis ?

Il n’y a pas meilleure expérience que le théâtre, pour échanger des idées, mais aussi des émotions, et relever nos paradoxes d’humains, nos sentiments parfois contradictoires… À l’heure des talk-shows et du stand-up, on assiste à un certain retour du collectif, de la prise de conscience que l’excès d’individualisme et le trop plein du consumérisme ne mènent nulle part. Face au changement climatique, aux quatre coins de la planète, des jeunes prennent conscience et se lèvent ensemble pour dire stop. On assiste à un certain retour du groupe. Le théâtre n’y échappe pas, et on voit resurgir aujourd’hui une forme de théâtre plus citoyen. Nous le peuple européen, six personnages en quête d’Europe appartient à cette tradition, comme le théâtre de Vaclav Havel ou d’Ariane Mnouchkine.

Quels sont les axes prioritaires pour favoriser l’éducation à la citoyenneté européenne ?

Notre expérience au Festival d’Avignon en juillet 2019 nous montre que l’Europe n’est pas un obstacle, bien au contraire, c’est un thème profond, et il attire ceux qui aiment la profondeur… Je dirais que plus que le thème, ce dont nous souffrons, c’est plutôt de la politique culturelle. Pour notre tournée dans toute la France, nous avons récolté nos propres fonds, à partir d’un financement participatif. Notre projet est donc un projet entièrement citoyen. Nous n’avons pas bénéficié de subventions de l’État, car en France on ne les donne qu’aux compagnies qui sont déjà connues. Dès lors, comment rentrer dans ce milieu ? Doit-il être réservé à ceux qui ont déjà pignon sur rue ? Les mécanismes bureaucratiques en France sont très tatillons, très compliqués. Nous vivons dans un pays très corporatiste. Les dernières études PISA ont montré que la France est un des pays les plus inégalitaires en terme d’éducation.
Les études Eurobaromètre depuis 20 ans montrent que c’est au Royaume-Uni et en France que l’on enseigne le moins l’Europe. C’est dans ces deux pays que les citoyens connaissent le moins les institutions européennes. Alors que nous avons un gouvernement qui affiche des positions très européennes, et on ne peut que s’en féliciter, je regrette que la dernière réforme sur l’Éducation nationale n’ait pas pris en compte cette nécessité : le besoin de former davantage les jeunes Français à l’Europe et à la citoyenneté européenne.

« Je regrette que la dernière réforme sur l’Éducation nationale, n’ait pas pris en compte cette nécessité : le besoin de former davantage les jeunes Français à l’Europe et à la citoyenneté européenne. »

Propos recueillis par MLC.

Publié par Marie-Laure Croguennec

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