Enseigner l’Europe en France

Claude Oliviéri
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La défiance des Français envers lEurope saccompagne généralement dune profonde méconnaissance des institutions et des cultures européennes. Ce constat amène à s’interroger sur le rôle de l’école dans la formation du citoyen européen. Quels sont les contenus des enseignements dispensés ? À quels objectifs répondent-ils ? Comment la France se situe-t-elle par rapport à d’autres pays ?

Thierry Chopin, professeur de science politique à l’université catholique de Lille, a entrepris, en collaboration avec Guilaine Divet, assistante de recherche (ENS, rue d’Ulm), de répondre à ces interrogations. 

Le rapport « Enseigner lEurope en France – Ancrer la dimension européenne dans lenseignement secondaire français » (Institut Jacques Delors, octobre 2020) repose sur une étude critique des programmes de quatre disciplines-clé: histoire, éducation civique, géographie, langues vivantes, dans quatre pays : France, Allemagne (lander Rhénanie-Palatinat et Saxe), Italie et Suède. L’analyse couvre lensemble du second degré, y compris lenseignement professionnel ; elle est complétée par un certain nombre de recommandations.

Dans lenseignement de lhistoire, le rapport regrette une approche trop franco-centré: les phénomènes transnationaux, communs à un grand nombre d’États européens, sont traités le plus souvent à partir de lexemple français, lEurope étant reléguée au second plan, comme une simple toile de fond. Louverture à l’Europe se limite généralement aux États dEurope occidentale. Quant à la construction européenne, elle est présentée sous une forme descriptive et technique souvent peu captivante pour les élèves.

La situation nest guère meilleure chez nos voisins : le cas allemand montre une prise en compte limitée de la pluralité des États européens, en Italie les programmes affichent clairement une dimension européenne, mais on est loin de la mise en perspective européenne des faits historiques, en Pologne les nouveaux programmes dénotent une tendance néo-nationale et un appauvrissement de la dimension européenne, en Suède enfin lEurope est absente des intitulés des thèmes à l’étude !

Le bilan de léducation civique n’est pas très positif. Lanalyse des enjeux européens est reléguée au second plan : en France, le développement dune citoyenneté européenne ne fait pas partie des principaux objectifs de formation. En Allemagne, on observe un intérêt ponctuel pour les questions européennes, en Italie, un éveil des élèves à l’Europe multilingue tandis que la Pologne a réduit la place accordée aux enjeux européens et se contente dune logique descriptive, tout comme la Suède.

Les mêmes tendances se retrouvent dans lenseignement de la géographie : la géographie nationale ou mondiale, augmentée de nouvelles thématiques environnementales et de développement durable, laisse peu de place à l’espace européen. Le plus souvent on ne dépasse pas le stade dune brève découverte de lespace naturel et culturel européen en début de cursus (Suède), sauf lorsquon propose d’étudier un cas d’échanges transfrontaliers (programme français de 3e). L’Italie pour sa part semble viser une prise en compte équilibrée des échelles nationale, européenne et mondiale.

Pour lenseignement des langues, lobjectif de deux langues étrangères obligatoires est loin d’être partout atteint : en France, cet apprentissage est généralisé dans les filières générales et technologiques (98,6% contre 51,2% à l’échelle de lUE), mais il ne concerne quun tiers des élèves des lycées professionnels (34,5% à l’échelle de lUE). Quant aux classes bi-langues qui se sont développées depuis quelques années, elles naccueillent encore que 15,6% des élèves de sixième.

Si on a augmenté la durée des horaires sur lensemble de la scolarité obligatoire avec lintroduction dun enseignement linguistique dans le premier degré, il nest pas dit que cet effort ait beaucoup amélioré les compétences linguistiques des élèves français qui restent au plus bas niveau en Europe. 

Quant à l’objectif de diversification, il est loin d’être partagé : la prédominance de langlais ne laisse quune part réduite aux autres langues. Les démarches de sensibilisation au plurilinguisme sont marginales. Dans les sections européennes, lenseignement dune discipline non linguistique dans une langue étrangère se fait généralement en anglais quand il ne se transforme pas en une heure danglais supplémentaire.
On oublie ici le projet initial qui est d
augmenter le temps dexposition à une langue étrangère sans alourdir les horaires.

Ces données posent lincontournable question de la formation des maîtres, et de la nécessité de repérer les compétences linguistiques des native speakers indépendamment des certifications académiques. 

Amer savoir que lon tire de ce voyage, pourrait-on dire en paraphrasant BaudelaireLe rapport est riche denseignements et de propositions et on trouve, chemin faisant, des exemples intéressants à suivre ou à adapter. On peut regretter toutefois quil ne mentionne pas les programmes d’échanges qui peuvent dynamiser les apprentissages linguistiques, sils sont conçus sur la base de projets pédagogiques et non comme de simples divertissements touristiques. 

On peut regretter aussi quil ne prenne pas en compte les autres disciplines où il est possible dintroduire une dimension européenne et pluriculturelle (ex. français, langues anciennes, arts plastiques, musique…) : la Renaissance, les Lumières, le Romantisme ou la Révolution industrielle sont par exemple la source de repères culturels et dune mémoire collective commune. 

La place de lEurope dans les programmes scolaires reflète le rapport des pays à l’Europe. Rien d’étonnant à ce que la Suède y manifeste moins d’intérêt que les pays fondateurs. Par ailleurs, les programmes sont construits en fonction de contraintes horaires et de logiques disciplinaires. Nulle part, on ne sent la recherche dune cohérence globale, qui situerait la dimension européenne à chaque niveau et dans chaque matière.

Cette compétence européenne est un élément essentiel de la construction du citoyen. Une compréhension géopolitique binaire la France/le monde (1) ne permet pas aux élèves de se projeter à l’échelle européenne en tant que citoyens actifs. Comme la IIIe République a su construire un roman national, il nous reste à construire un roman européen, prenant en compte les diversités qui fondent notre identité culturelle. Cette tâche nincombe pas uniquement à l’École, mais plus que jamais, l’École doit y prendre toute sa part. 

(1) « Comme futurs citoyens, (les élèves) auront à agir dans un monde et une France en mutation. » Programme d’histoire-géographie de seconde générale et technologique, BOEN spécial n° 1 du 22 janvier 2019.Enseigner

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