Éducation à l’Europe : question d’âge ?

Marie-Laure Croguennec
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« Oh ! L’anniversaire du traité de Rome, c’est le lendemain de mon anniversaire… »
« Madame, est-ce que c’est exprès que le contrôle de géographie sur l’Europe tombe le jour du traité de Rome (sic) ? »
Ces réactions spontanées recueillies en classe en ce printemps 2021 témoignent d’une éducation à la citoyenneté européenne à ce stade en pleine germination.
Ce n’est sans doute pas conscientisé, mais en s’exprimant ainsi sur ces dates, Simon et Kévin sont en train de se construire leur conscience européenne. En inscrivant de la sorte dans leur vie ces événements, ces élèves se les approprient et se les rendent personnels et presque intimes avec la touche de proximité et de vérité qui donne une existence réelle à ces faits historiques.
En effet, des informations et des connaissances immergées dans des souvenirs affectifs ou proches d’un vécu nourrissent un ancrage et solidifient les bases de toute construction afin que celle-ci puisse devenir durable. Condition nécessaire certes, mais sans doute pas suffisante quand on sait, à l’image du flux et du reflux, combien ces connaissances devront être présentées et représentées, encore et encore ; « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage », prévenait Nicolas Boileau.

Et qu’en est-il de Mattéo qui pour illustrer le terme « humble » rencontré dans une séance de lecture évoque spontanément Robert Schuman ? On peut penser que l’élève ne réinvestit pas seulement un mot de vocabulaire et sa signification, mais bien au-delà parle de la rencontre avec l’homme du 9 mai 1950. Telle une inscription dans son savoir, non seulement il enrichit son vocabulaire d’une part et sa connaissance historique de l’autre, mais en plus en associant lui-même les deux termes il amplifie sa culture, incarnée par la personnalité humaniste du visionnaire européen, participant ainsi à la construction de sa conscience européenne.

Simon, Kévin et Mattéo ne sont pourtant pas isolés dans leur classe ; à l’image de leurs copains et copines qui dans leur contrôle ont tous été capables de nommer un père fondateur de l’Europe (26 ont cité Robert Schuman et 2 Jean Monnet), les murs de cette classe ont pu entendre Mathilde commenter et résumer le traité de Maastricht par le terme « citoyenneté ». À l’entendre, le nom de la ville batave s’empare d’une résonance plus proche et adoucie que dans nombre d’esprits d’adultes. Peut- être parce que l’élève fait résonner avec raison cette proximité quotidienne, allant de la libre circulation des personnes au droit de vote dans un État membre pour les élections municipales, en passant par la création du passeport européen. Marie quant à elle évoque avec précision les signatures des 18 avril 1951, 25 mars 1957 et 7 février 1992 en les faisant rimer avec les villes qui les incarnent bien au-delà d’une simple récitation chronologique que nombre d’aînés ne sauraient répéter ; peut-être grâce à une illustration vivante et concrète de ces lieux et de ce qu’ils représentent ?

Loin de généraliser au travers de ces courts exemples, le propos n’est pas de présenter une vision simple, simpliste et quasi magique de l’éducation à la citoyenneté européenne. Loin s’en faut ; et comme pour tout processus d’apprentissage, c’est la rencontre croisée, répétée, argumentée de moult connaissances qui les rendra progressivement acquises, et d’où émergera peu à peu ce partage d’un destin commun.
L’éducation, c’est bien plus que de l’enseignement, et l’éducation à la citoyenneté européenne, c’est bien autre chose que l’assimilation d’une chronologie de faits, traités et dates, ou pire d’organigrammes sur les institutions. Si la mémoire et la mémorisation des dates et événements sont importantes, elles perdent leur signification si elles sont déconnectées d’un vécu. En revanche, si ces cheminements sont expliqués et explicités, intégrés à un programme faisant la part belle au vécu et à l’âme, alors ils ont toutes leurs chances de permettre l’émergence de la citoyenneté européenne.

Au travers de ces cas relatés, on constate que cela peut fonctionner et surtout que l’Europe peut intéresser. Affaire de pédagogie assurément, mais pas seulement. Y aurait-il alors un âge idoine pour commencer cette éducation ? Simon et ses camarades seraient-ils des cas isolés ? Des élèves triés sur le volet ? Des collégiens d’une section européenne dans un établissement renommé ? Que nenni : ils sont élèves de CM2 dans une classe rurbaine en 2021.

Des élèves de 10 et 11 ans pour qui Paris, Rome et Maastricht font partie de leur vie dans un présent conscientisé.
Il n’y a sans doute pas d’âge idéal pour commencer à éduquer à l’Europe. Et s’il n’est jamais trop tard, il n’est surtout jamais trop tôt.

Publié par Marie-Laure Croguennec

2 commentaires

Simone Flaczynski

Oui, bravo Marie-Laure, pour avoir entrepris avec enthousiasme ce long apprentissage si nécessaire pour tous les enfants de l’Europe d’aujourd’hui.
Et si, devant nos monuments , le 8 mai, on faisait plus souvent résonner l’hymne européen ?

Mohamed Boukhalef

Bravo

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