D’Écosse en France, essai transformé

Marie-Laure Croguennec
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23 juin 2016. Nul n’aurait imaginé les bouleversements engendrés par le référendum britannique.
De tourments en turbulences, les États se sont trouvés dans les méandres du brexit qui a donné maille à partir aux négociateurs, et ce n’est visiblement pas fini.
Qu’en est-il des citoyens ? Comment se vit ce bouleversement dans la vie des Britanniques ? Comment, a fortiori, quand on ne l’a pas souhaité ?
Rencontre avec Ann Marie Burns, Écossaise vivant en France depuis 26 ans.

 

Portrait

Un regard pétillant, une démarche sportive, un dynamisme communicatif, Ann Marie Burns fait partie de ces personnes aux propos percutants allant à l'essentiel. Arrivée en France en 1996 pour des raisons professionnelles avec son mari et ses jeunes enfants, elle a ajouté une nouvelle identité à ce patchwork qui la compose : née en Écosse près de Glasgow, irlandaise par sa mère elle a vécu sur l'île verte trois années alors qu’elle avait entre 9 et 12 ans, avant que la famille retourne au pays des Highlands où elle a grandi. Son mariage avec David l'a plus tard conduite à Londres, puis en France. Plutôt que de choisir l'une des identités, Ann Marie arbore aujourd'hui la fierté de cette addition de diversités la rendant à la fois écossaise, irlandaise, française (elle se dit très à l'aise dans les trois "pays"), mais aussi européenne et citoyenne du monde.
Française, elle l'est de cœur car elle n'a pas encore entamé la démarche de demande de citoyenneté, bénéficiant de celle de l'UE par son passeport irlandais. Mais ses "repères sont français, jusqu'à la manière de penser" confie-t-elle. 
Elle ne tarit pas d'éloges sur notre pays et dit chaque jour "goûter au bonheur de vivre en France".

C'est une grâce de vivre en Europe
Alors quand arrive le sujet du brexit, le bleu de son regard redouble de force et, aidé de verbes sincères et profonds, balaie toute ambiguïté : elle dénonce la supercherie qui s'est jouée outre-Manche par des arguments fallacieux et un manque de loyauté pour reconnaître "les bonnes choses de l'Europe". Elle évoque le seul exemple de la libre circulation si bénéfique, dont la mesure n'est pas encore prise aujourd'hui en raison de la crise sanitaire du covid, mais qui révèlera dans quelques temps son caractère dramatique d'avoir tout rejeté. C'est à la fois une énorme tristesse et un sentiment de honte qui l'habitent, elle pour qui "c'est une énorme grâce de vivre en Europe". L'amertume laisse la place à la colère à l'encontre du gouvernement conservateur britannique qui l'"a privée de tout" en ne lui permettant même pas de prendre part à ce vote si déterminant au motif qu'elle résidait à ce moment-là sur le territoire français. Dépossédée, cette grande sportive se sent alors profondément blessée et choquée quand elle entend des journalistes - espagnols - remettre en question la participation de l'Angleterre à l'Euro 2020 : "L'Angleterre n'est plus dans l'UE mais est quand même en Europe". Jusqu'où peut aller la folie du brexit, ce fameux brexit qui n'aurait jamais dû avoir lieu et dont il va falloir tirer les leçons.

Le pari européen de l'Écosse
Est-ce cette multi-culture qui la compose qui l'a rendue si européenne ? L'Écosse a selon elle toujours été très ouverte, tournée vers l'Europe et le monde. L'héritage celte, imprégné dans la population, rejaillit par cet ancrage et se retrouve entre autres dans les manifestations culturelles telles que les festivals de Quimper ou de Lorient. Cette appartenance s'est également traduite dans les urnes par le vote européen des Écossais favorables à 62 % au maintien, confortant la détermination de la Première ministre Nicola Sturgeon à réintégrer l'UE. C'est un espoir porté aujourd'hui plus que jamais.

Il faut faire attention aux petits

Sensible aux valeurs qui fondent le projet européen, Ann Marie loue les ambitions de maintien de la paix à l'origine, et salue l'évolution de rassemblement des peuples si divers et diversifiés. Elle souligne l'importance de « soutenir cette structure qui est une bonne contrebalance envers les autres puissances mondiales ». Clairvoyante, elle attire l'attention sur l'importance d'accompagner ces différences car "ces pays ont d'autres héritages qu'on ne connaît pas et d'autres façons de penser". Serait-ce une des fragilités de la construction européenne aujourd'hui ? Voulant garantir au mieux ce capital démocratique, elle invite l'UE à être attentive "aux signaux exprimés par le peuple : comprendre pourquoi il y a une cloche qui sonne ou un drapeau rouge qui s'agite. Il faut régler les choses avant que cela prenne de l'ampleur ; une dictature peut arriver vite, il faut faire attention aux petits." En quelque sorte, placer la personne au cœur du projet et que chacun trouve sa place et se sente reconnu. "Il faut aussi laisser le champ au local" prévient-elle, ciblant ainsi une proximité nécessaire et incontournable entre les institutions et les peuples. Avant de conclure : "Le problème, ce n'est pas l'Europe. Il faut tirer les leçons de la fracture. On ne se rend pas compte du bonheur d'être européen". Comment ne pas être sensible à cette vision personnaliste ?


Tout à son image d'endurante et de persévérante, Ann Marie, en bonne marathonienne solidaire, repart pour ses activités bénévoles au sein d'associations (Petits Princes, Les familles en deuil) ou des visites en Ehpad, fortement engagée "pour remercier la France de ce qu'elle m'a donné".

Publié par Marie-Laure Croguennec

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