Pérégrinations intellectuelles : une « conversion » européenne est-elle possible ?

Dylan Le Borgne
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Voilà un article qui, par son titre, pourrait surprendre.
L’Europe, continent avant tout, loin d’être une abstraction, est une réalité. Nous avons, en effet, en commun une pléthore de langues aux racines identiques, nous foulons une même terre, nos récits historico-politiques s’interpénètrent, etc.
Le non-sens d’une telle interrogation est donc évident à tous : comment et pourquoi se « convertir » à une vérité d’ores et déjà assise, acquise ? 

L’idée de « conversion », emprunt assumé au vocable religieux, marque un tournant, un changement radical, une évolution, objective pour le converti et probablement subjective pour l’altérité. Dès lors, remarquons dans notre histoire proche ce changement significatif porté au faîte, cette « conversion » ayant, en 1950, modifié le paradigme. L’acte est posé. L’Europe, continent, devient l’Europe, organisation humaine et politique, balbutiante certes, mais malgré tout confédérale.

Ainsi, est actée la première conversion que nous nommerons « verticale », celle de la classe dirigeante, acquise majoritairement, nonobstant quelques irréductibles, à l’idée.
Qu’en est-il, cependant, de cet autre versant indispensable ? De cette conversion « horizontale », propre au peuple européen ? Puisqu’il serait prétentieux de ma part à vouloir sonder cœurs et reins de nos amis européens, très modestement, je vous propose une réflexion touchant à mes pérégrinations intellectuelles : de Français radicalement souverainiste à chercheur qui se pose moult et moult questions sur la chose publique et, notamment, européenne. 

Notre monde d’aujourd’hui s’inscrit dans une évidence contextuelle : le concert des Nations n’existe plus, anéanti de la scène internationale par la polarisation du champ politique autour des grands Empires. Les États-Unis figurent encore comme première puissance mondiale mais gravite autour d’eux la Russie, retrouvant de plus en plus sa superbe d’antan. Enfin, nous ne pouvons pas ne pas citer l’Empire du milieu où, jadis, jamais le soleil ne s’y couchait et qui, fort de sa politique agressive, est en voie de retrouver sa position politico-économique dominante dans le monde. Face aux États-Unis, à la Russie et à la Chine, que vaut une puissance, si riche et éclatante fût-elle, de 70 millions d’habitants ? La France ne peut se complaire dans la fange populiste, la réalité du monde lui en renie le droit. Une nation aussi prestigieuse ne peut exister à travers le chant de la mélancolie, davantage chant du cygne qu’expression romantique d’une âme exaltée. L’Europe est une réponse à l’étroitesse nationale car elle seule offre un champ d’actions à la fois large et unifié d’où procèdent culture, puissance et valeurs ! 

La population européenne, atteignant quasiment le milliard d’habitants, donne voie au chapitre. Plus encore, elle s’impose.
Au mieux, la France seule conservera un semblant de souveraineté mais sera placée, tôt ou tard, sous l’autorité d’une supra-puissance.
Au pire, elle disparaîtra du planisphère, telle l’irréductible Gaule, balayée par la Rome impérialiste et portée au coup de grâce par ces barbares Francs. Le mouvement vers la décrépitude est engagé : nous perdons, année après année, nos places d’honneur, notre économie demeure croulante, l’autorité de l’État est mise à mal par d’innombrables entreprises étrangères, en témoignent FaceBook, Google et Cie. Ce tableau sombre n’est qu’un pâle reflet de ce renouveau international, dans lequel la nation n’a plus d’avenir viable. Il en est ainsi, que nous le voulions ou non.
Comment, dès lors, ne pas voir en l’Europe une force vive ? Si nous avons manqué le rendez-vous jusqu’ici, point de crainte : il est sursis. La raison nous y commande, plus encore : l’instinct de survie. 

Outre l’argument de la souveraineté, tant économique que politique, sensible au grand amoureux de la France que je suis, l’une de mes réflexions a également porté sur l’épineuse question des valeurs. Pour toujours, le questionnement suivant doit demeurer notre seul fil d’Ariane : quel monde voulons-nous, pour nous-mêmes d’abord, puis pour nos enfants et les générations futures enfin ? Est-ce un monde où sans cesse les egos nationaux mèneraient aux pires extrémismes ? N’ayons pas la mémoire si courte, l’horreur que nos aïeux ont malheureusement connue ne nous est pas si étrangère que cela. Gageons de toujours chérir la paix et la fraternité entre les peuples, et plus encore si ceux-ci proviennent d’une même souche-mère. Ferions-nous la guerre à nos cousins ? À nos frères ? À notre famille ? Il me vient en tête, tout en rédigeant cet humble papier, une phrase magnifique du grand Victor Hugo : « Un jour viendra où la guerre paraîtra aussi absurde et sera aussi impossible entre Paris et Londres, entre Petersburg et Berlin, entre Vienne et Turin, quelle serait impossible et quelle paraîtrait absurde aujourdhui entre Rouen et Amiens, entre Boston et Philadelphie ».
Terre des droits de l’homme, l’Europe a plus qu’un marché économique à proposer : elle a des valeurs à partager à la face du monde ! Alors, oui : convertissons-nous à l’Europe !

Se « convertir » à l’Europe n’a rien de simple, le confirment mes propres pérégrinations ! Comme l’écrivit Pascal, européen selon sa propre aspiration, « le cœur a ses raisons que la raison ignore. » Le cœur, à coup sûr, y est presque pour tout le monde. Mais quand la raison fait obstruction, voilà qui est bien gênant. Ce fut mon cas : le souverainiste que j’étais avait le cœur grand ouvert à l’idée européenne, mais l’esprit bien sec et aride. Pour cause, cet obscurantisme insupportable, complu par les populistes de toutes sortes. Ma rencontre avec un grand défenseur de l’idéal européen a été pour moi salvatrice : par plusieurs échanges, francs mais courtois, il a su mettre en lumière l’ignorance que j’avais acquise pour connaissance, celle qu’entretenait la droite radicale et populiste dans l’esprit collectif, n’hésitant pas à déblatérer mensonge sur mensonge et rendre l’idéal européen coupable de tous les maux du monde. Un idéal peut-il être coupable ? Je ne le crois pas. Par nature, il est cette recherche constante de perfection, agréable à la fois au cœur et à l’esprit. C’est ce qu’est l’Europe : une recherche continue et mutuelle d’un meilleur contrat social, signé et admis par l’ensemble de la communauté. De fait, se convertir à l’Europe, c’est être à la fois pragmatique et soucieux d’une raison supérieure à la crasse idéologie. La conversion devient une démarche intellectuelle, une quête de connaissance, sur tous les plans possibles. 

La vérité est, pour l’avoir vécue, cette peur oppressante et déraisonnable de perdre ce qui fait nos racines, notre identité, notre essence dans une forme globalisante et unilatérale que serait l’Europe et que d’aucuns estiment opaque et parfaitement abstraite. Les Nationalistes, à rebours des réalités internationales, sont mus par cette angoisse. Elle commande à leur volonté, à leurs actions, à leurs propos et se cristallise dans cette faconde, très caractéristique. La conversion est un acte de mise à mort du « vieil homme » et appelle à la renaissance subtile en « nouvel homme » : j’entends par là que celle-ci n’est rendue possible qu’à celui qui s’ouvre à la foi et à l’espérance, délaissant cette étouffante peur ; passion portant à la suffocation de l’esprit. L’esprit doit s’ouvrir, s’aérer pour mieux saisir et appréhender. La France restera France, l’Italie restera Italie, l’Allemagne restera toujours Allemagne. Une fois ce principe inaliénable admis, la conversion européenne devient plus un sentiment de légèreté qu’une crispation commise du choc cœur/esprit et nous comprenons alors dans quelle saugrenue erreur nous nous étions fourvoyés, jetant, pour ainsi dire, le « bébé avec l’eau du bain. » 

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