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À la différence des États-Unis qui ont la première monnaie mondiale (61% des réserves mondiales de change) et un seul Trésor (pas 27), la politique de la planche à billets est plus facile et rapide. Avec 19 pays disposant de l’euro, le consensus s’avère forcément plus difficile, plus lent. Le projet de budget de la zone euro a pris du temps, car certains refusaient tout système de transferts financiers « entre pays vertueux et pays non vertueux ». Nos économies divergent encore trop. Nous n’avons même pas créé une Bourse pan-européenne, nos places financières principales (Francfort, Paris, Amsterdam) se font concurrence.
Depuis la crise de 2008–2009, on a certes créé, dans la douleur, des mécanismes efficaces, (FESF- Fonds européen de stabilité financière et MES- Mécanisme européen de stabilité). Comme disait Jean Monnet, « l’Europe n’avance que dans les crises ». On l’a vu encore en juillet 2020 avec un plan de relance conséquent de 750 milliards €, et enfin un endettement communautaire, la Commission européenne s’endettant seule, au nom des États membres, et redistribuant ces prêts aux États les plus touchés sur le plan sanitaire et économique (par exemple 209 milliards pour l’Italie, 40 pour la France).
Là, c’est un pas en avant, de même que l’abandon (provisoire ou définitif ?) des règles (dogmes pour certains) de Maastricht avec des critères stricts selon lesquels les États membres ne peuvent avoir un déficit dépassant de 3% leur PIB et une dette dépassant de 60% ce même PIB. La Covid-19 a été plus forte que ce Traité ; la crise sanitaire a engendré le « Quoi qu’il en coûte ».
Entretemps, les 19 États membres de la zone euro (332 millions d’habitants, quand même) auront fini par créer un budget, mais son montant de… 20 milliards €, qui seront distillés à dose homéopathique dans des projets d’États membres, reste ridicule. Pas de quoi relancer quoi que ce soit, ni même activer la recherche et le développement dont l’Union a bien besoin. Heureusement qu’il y a les fonds structurels européens !
Un tel budget, symbolique, a dû faire encore sourire les Américains, eux qui financent et renflouent leurs États en faillite (une dizaine) à coup de… milliers de milliards de dollars ! On l’a bien vu en 2007–2008 (crise des subprimes). On le voit aujourd’hui avec Joe Biden, qui ouvre largement les vannes avec 1900 milliards de dollars et un chèque de 1400 $ à chaque Américain en difficulté. C’est plus facile avec un État fédéral. Un vrai. Un seul trésor, un seul budget, une seule « planche à billets » folle, même si cela n’est jamais une solution pérenne…
Nous avons réussi l’euro, sans lui donner un État, un seul Trésor, un seul budget, une fiscalité harmonisée, des normes sociales harmonisées. Nous restons en forte concurrence économique et sociale entre nous (!), sans créer des champions industriels européens (à part Airbus) sur les voitures (électriques et hydrogène), les batteries, le ferroviaire, l’éolien, l’acier. Les pères fondateurs de la monnaie unique avaient prévu tout cela. Y compris, même, l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, déjà évoquée dans le… traité de Rome de mars 1957.
Une monnaie seule ne suffit pas, il fallait l’accompagner, la porter, la promouvoir, partout. On avait bien réussi la CECA dans les années cinquante. Le dollar est un emblème adoré (jusqu’à y inscrire « In God we trust »). Pas l’euro, considéré au mieux comme une monnaie stable et solide. Même si 75% des Européens veulent le garder (pourcentage stable depuis vingt ans) pour ses qualités pratiques, il n’y a pas de « fierté » d’avoir une monnaie unique, à l’instar du dollar américain, véritable culte national.
On a même fait des billets impersonnels, avec des ponts, des fenêtres, mais sans des personnages illustres, alors que l’Europe a un patrimoine culturel énorme. Je fais partie de ceux qui réclament depuis le début des grands Hommes et Femmes sur nos billets de banque : Dante, Victor Hugo, Beethoven, Picasso, Goethe, Marie Curie, Saint-Exupéry et tant d’autres, voilà qui plairait plus à nos concitoyens ! Qu’attendons-nous ?
Nos dirigeants nationaux de la zone euro n’ont pas été à la hauteur de cette belle création, restant dans des postures schizophrènes, prônant l’Europe, mais arcboutés sur des actions politiques nationales, alors qu’ils avaient l’euro. Fiers de « leur » fiscalité, de « leur » défense, de « leur » diplomatie, de « leur » budget, de « leur » agriculture, de leur industrie, partiellement laminée par les Chinois. Mais bien contents d’avoir la manne des fonds européens, et bien sûr stigmatisant l’Europe pour masquer leurs propres échecs… Alors qu’avec l’euro ils avaient « un boulevard » pour développer l’intégration politique et géopolitique de notre Union. Une sacrée occasion manquée… Car une monnaie unique solide est un des trois piliers régaliens absolus, avec la diplomatie et la défense communes, sinon unique, pour réussir un État fédéral et peser enfin sur la scène internationale.
Résultat, malgré ses réelles qualités, l’euro sur le plan monétaire comme géopolitique est loin derrière le dollar, et demain il sera derrière le yuan… ou le « dollar-yuan », rêvé par certains outre-atlantique. Car un quart de la dette américaine est déjà détenue par les Chinois.
Européens, réveillez-vous ! Réveillons-nous, si nous voulons vraiment exister, et quitter les vestiaires, au mieux le banc de touche, de la scène mondiale !
Et l’euro, réussite technique exemplaire, reste politiquement orphelin et inachevé, par la faute des Européens eux-mêmes. Jacques Delors a eu bien raison de qualifier l’Europe de « géant économique mais nain politique ». Faudra-t-il attendre une nouvelle génération d’Hommes politiques ? Les États-continents de demain nous en laisseront-ils le temps, seulement ?