La zone euro toujours orpheline… À quand le réveil ? (1)

Alain Malegarie

L’euro fiduciaire (nos pièces et billets) aura déjà 20 ans le premier janvier 2022, et il reste à ce jour la création la plus importante de toute l’Union européenne depuis plus de soixante ans, au succès incontestable : 2e monnaie du monde, près de 30% de toute la facturation mondiale, 22% des réserves mondiales de change, une inflation contenue à moins de 2% et des taux d’intérêt historiquement bas, inférieurs à 2% et ce même sur 20 ou 30 ans d’emprunt ! En vingt ans, l’euro aura mis fin à des dévaluations chroniques, et aura divisé par 7 l’inflation et par 6 les taux d’intérêt, rendant ainsi du réel pouvoir d’achat aux citoyens de l’eurozone.

Et pourtant, ce succès reste inachevé, de par la faute (frilosité, manque de cohésion, de vision, de projets), des actuels dirigeants de l’UE. L’euro devait être un point de départ dans une intégration européenne progressive et forte, il reste un… point d’arrivée.
L’euro seul ne suffit pas face à l’ogre américain, et demain chinois et indien. Il fallait donner un État (fédéral) à l’euro, ou à tout le moins dans un premier temps, une gouvernance solide : un ministre dédié à cette monnaie unique, un budget conséquent de la zone euro, une capacité à lever les impôts et les emprunts (en substitution aux impôts et emprunts nationaux bien sûr, pas en complément) afin de lisser, harmoniser les différences, voire distorsions de cycle économique dans un esprit redistributif et solidaire. En commençant par l’harmonisation fiscale, évidemment.

Tout cela était prévu par les concepteurs de la monnaie unique (rapports de Raymond Barre et Pierre Werner en 1969 et 1970) ; l’euro n’était « qu’une première étape » avant les nécessaires harmonisations fiscales, sociales et la convergence des économies, mais les dirigeants n’ont pas eu depuis vingt ans le courage d’aller plus loin, reculant devant un euroscepticisme larvé puis assumé.
Certes, le contexte a évolué, l’époque des années 1990–2000 a connu la montée du terrorisme islamique ; la crise économique et financière mondiale (2007−2008, presque aussi pire qu’en 1929, générant du chômage partout et du repli identitaire.
Après 2011–2012, nous sommes sortis de la crise économique et sociale avec le retour au plein emploi en Europe (sauf 5 pays dont la France), mais les mentalités restent renfermées, les gouvernements sont élus sur des analyses sciemment biaisées et/ou de plus en plus sur des solutions populistes et démagogiques.

Depuis, l’Union Européenne s’est fissurée entre le Nord (pays fourmis) et le Sud (pays cigales dont la France) et s’est fracturée entre l’Est et l’Ouest (passé historique différent, choc des cultures ?).
À présent, elle est également confrontée à une mondialisation économique plus concurrente, voire agressive. Durant la sinistre présidence Trump, notre Union fut attaquée commercialement par l’allié historique de toujours, les États-Unis d’Amérique, et par la Chine, le dirigeant qui gèrera la planète d’ici 20 à 30 ans au plus tard. L’euro orphelin n’avait pas la réplique (et ne l’a toujours pas) face au principe de l” « extraterritorialité » créé par Bill Clinton en 1993, et imposé par Trump pour contrer la réussite de l’Union, première puissance commerciale du monde, et surtout largement excédentaire dans sa balance commerciale avec les États-Unis. L’extraterritorialité révèle de façon ignoble le « fait du Prince » du plus puissant (actuel) : les Américains s’arrogent en effet, par ce principe unilatéral, le droit de dresser une « liste noire » interdisant au monde entier (UE comprise) de commercer en dollar avec les pays de cette liste. Or, toutes les matières premières sont réglées en dollar ! Ce qui interdit à tous les autres États de ne plus pouvoir échanger avec des pays comme l’Iran. Malgré l’euro, nous restons donc sous une domination américaine. La géopolitique s’appuyant sur une suprématie diplomatique et militaire a plus de poids que le commerce.

Et l’euro dans tout cela ? Réussite exemplaire, mais il reste orphelin et inachevé. Ses « dirigeants » ne l’ont pas porté, consacré, légitimé, restant eux-mêmes sur des postures nationales. Un exemple parmi tant d’autres qui me navre : un AIRBUS fabriqué à Toulouse est vendu à Air France en… dollar ! L’euro est resté une « simple » monnaie, un outil technique, pas un emblème ou symbole politique. Qu’Airbus soit réglé en dollar dans toute l’UE, au même titre que le pétrole, n’a jamais dérangé un seul responsable politique de l’Union ni même de la zone euro. Stupéfiant et consternant !

On a parlé aussi de budget de la zone euro pendant une bonne décennie. Mais les pays du Nord qui se sont réformés, eux, avec succès, ne voulaient pas de budget de la zone euro, pour renflouer les pays cigales, défaillants par absence de (vraies) réformes et par l’accroissement continu de leur dette (France, Italie, Espagne, Portugal et Grèce). Toujours les mêmes. Et c’est le plus évolué des pays non réformés, donc à la traîne, la France, avec son dirigeant Emmanuel Macron très pro-européen (on n’avait pas un tel pro-européen depuis François Mitterrand) qui avait essayé avec Angela Merkel de relancer l’Europe, mais il est resté très isolé. Dans ses discours mémorables d’Athènes et de la Sorbonne en 2017 (mais qui appartiennent déjà à l’Histoire), Macron proposait un vrai budget de la zone euro de « plusieurs centaines de millions € » (sic) afin de rééquilibrer les économies par un fort levier redistributif. Il parlait même de créer un FME (FMI européen !). Un rêve pour certains, une abomination pour d’autres : ceux qui ont fait des réformes ne font plus confiance aux autres, ne veulent plus payer pour eux. Vous avez dit « solidarité  européenne » ? Que nenni ! Les fourmis rechignent de plus en plus à payer pour les cigales, qui ne jouent pas le jeu. On reste en « copropriété », mais c’est chacun pour soi. On l’a bien vu pour la Grèce, en 2010-11, presque deux ans de tractations pour enfin la sauver. On le verra peut être un jour pour l’Italie, son économie ou ses banques étant fragiles, mais Mario Draghi est désormais aux commandes. L’ancien président de la BCE a démontré son savoir-faire.

À suivre…

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