Élections européennes 2024 – si loin et pourtant si proches

Alfons Scholten

Une vue d’Allemagne

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Les prochaines élections européennes auront lieu au début de l’été 2024 et, même si cela semble encore loin, les premières manœuvres politiques sont déjà en cours afin d’obtenir et de renforcer ensuite la majorité au Parlement et, sur cette base, d’obtenir la présidence de la Commission européenne. Manfred Weber, le chef de file du Parti populaire européen, vainqueur des dernières élections mais évincé par Ursula von der Leyen, est particulièrement actif dans ce domaine.

D’une part, il a renforcé sa propre position en prenant la présidence du Parti populaire européen en plus de la présidence du groupe parlementaire. Même si ce poste représentait jusqu’à présent plutôt une tâche de représentation, il lui offre tout de même la possibilité de se rapprocher du parti post- fasciste de la Première ministre italienne Meloni afin d’intégrer ses députés au Parlement européen dans son groupe et d’assurer ainsi son statut de plus grand groupe.

Dommage que cette manœuvre lui cause quelques problèmes dans son pays d’origine, l’Allemagne, où les amis du parti de Meloni cherchent plutôt à collaborer avec l’AfD, ce qui les incite à leur tour à rêver d’une grande opposition de droite. Mais comme les dirigeants de la CDU et de la CSU cherchent actuellement plutôt à se démarquer de l’AfD, ces tentatives de rapprochement de Weber les agacent plutôt et ne sont pas quelque chose qu’ils saluent et soutiennent. Un soutien de ses ambitions personnelles par ses partis d’origine n’en sera pas facilité.

Digression : le fétiche allemand « Spitzenkandidat » et ses dessous

L’idée de lier la désignation du président de la Commission européenne au rôle précédent d’un candidat de premier plan est, selon des rapports concordants de différents médias, une idée « typiquement allemande » ; c’est vrai dans la mesure où « Spitzenkandidat » est une tâche qui a surtout du sens dans les démocraties parlementaires – comme l’Allemagne – où le « Spitzenkandidat » du parti le plus fort a les meilleures chances d’être élu chancelier par le parlement.
Dans les démocraties présidentielles – comme la France – où le chef du gouvernement est proposé par le président élu au suffrage universel direct, la « Spitzenkandidatur » est moins importante.
Ce concept, qui a probablement été propagé par l’ancien président (allemand) du Parlement Martin Schulz, ne fonctionne pas correctement dans l’UE, car le président de la Commission européenne n’est pas simplement élu par le Parlement, mais doit être proposé par le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement. Ces derniers n’aiment pas être poussés par le Parlement à faire des propositions, comme on a pu le voir en 2019 avec Manfred Weber, qui avait certes gagné les élections européennes mais pas la confiance du Conseil européen.
La base tacite de cette fixation sur l’idée d’une « Spitzenkandidatur » est probablement l’idée que l’UE doit devenir une « démocratie parlementaire » et que l’Allemagne constitue le modèle parfait pour cela. En y regardant de plus près, cette idée s’inscrit toutefois fortement dans la tradition de l’idée selon laquelle le monde ou l’UE doit « guérir » de la « nature allemande », ce qui rend plus compréhensible l’opposition à cette hégémonie allemande de la part d’hommes politiques comme E. Macron, qui sont plutôt marqués par la démocratie présidentielle.

Deuxièmement, les chances de Manfred Weber de devenir président de la Commission européenne sont évidemment bloquées par la titulaire du poste, Ursula von der Leyen. Même si de nombreux commentateurs en Allemagne sont convaincus que Manfred Weber veut se venger de la défaite d’Ursula von der Leyen en 2019, on peut douter qu’après une politicienne allemande de la CDU, un politicien allemand de la CSU ait vraiment des chances de devenir président de la Commission.

C’est pourquoi les chefs de parti de la CDU et de la CSU préfèrent assez nettement une nouvelle candidature de von der Leyen. Mais si celle-ci veut à nouveau devenir présidente de la Commission, beaucoup lui rappelleront ses paroles de 2019 : « Nous développerons dans les années à venir un modèle de Spitzenkandidat qui sera soutenu par le Conseil, dans tous les États membres et par tous les députés ».

Même si ce modèle n’est pas encore visible, ce qui n’est pas surprenant compte tenu de l’hégémonie allemande inhérente à cette idée, von der Leyen n’aura d’autre choix que de se soumettre à la procédure de candidature au Parlement si elle veut être réélue par le Parlement. Cela signifie qu’elle devra se présenter au prochain congrès de la CDU de Basse-Saxe, sa fédération d’origine, pour la place de tête de liste aux élections européennes de 2024. Comme les places sûres sur les listes sont évidemment très convoitées et que personne ne cédera volontairement et avec enthousiasme sa place à von der Leyen, il s’agit pour elle d’un premier obstacle qu’elle ne pourra franchir qu’avec beaucoup d’habileté diplomatique et le soutien de la direction du parti CDU.

Digression 2 : Le système électoral européen en Allemagne sous le régime de la CSU

Les élections européennes ont certes lieu à la même période dans toute l’Europe et généralement selon les mêmes règles, mais les États nationaux peuvent organiser la procédure électorale concrète conformément aux traditions nationales. Pour l’Allemagne, cela signifie que, comme pour les élections au Bundestag, il n’y a pas de listes nationales de candidats, mais une liste par Land. Cela est dû à la CSU, qui n’existe qu’en Bavière et qui insiste donc sur des listes par Land. Cela ne concerne pas les autres partis de Bavière, car ils agissent tous en tant qu’associations régionales d’un parti fédéral et ne revendiquent pas ce rôle particulier. C’est pourquoi il ne faut pas s’attendre à ce que l’idée de « listes européennes » suscite beaucoup d’enthousiasme de la part de la CSU – et donc de Manfred Weber. Ce rôle particulier de la CSU pose d’ailleurs actuellement des problèmes dans le cadre de la réforme du droit de vote pour le Bundestag et sera sans doute prochainement débattu devant la Cour constitutionnelle fédérale.

Troisièmement, Ursula von der Leyen comme Manfred Weber ont un grand problème à trouver une majorité qui les soutienne au Conseil européen. En effet, l’Allemagne n’est pas la seule à y être représentée – non plus comme en 2019 par une chancelière CDU – mais par un chancelier SPD et une coalition « Ampel ».

Celle-ci a convenu dans son accord de coalition que « Les Verts » auront le droit de nommer le prochain représentant allemand à la Commission européenne. Les « Verts » sont donc confrontés à la question de savoir s’ils préfèrent soutenir une Allemande d’un autre parti pour le poste de présidente de la Commission ou nommer un représentant de leur propre parti comme commissaire, éventuellement pour un portefeuille moins important pour l’Allemagne. Les Verts ne pourraient pas échapper à ce dilemme même s’ils parvenaient à convaincre des poids lourds politiques comme Joschka Fischer ou Daniel Cohn-Bendit de se présenter à la présidence.

Ursula von der Leyen est confrontée au problème suivant : la majorité au Conseil européen n’est plus constituée de représentants de son Parti populaire européen, mais les socialistes et les sociaux- démocrates sont en surnombre parmi les chefs d’État et de gouvernement. De plus, sous la pression du Parlement (et notamment des Verts allemands au Parlement européen), elle a dû entrer en conflit avec les gouvernements hongrois et polonais, qui l’avaient probablement soutenue en 2019, de sorte qu’il ne faut pas s’attendre à ce que ces derniers soutiennent une réélection de von der Leyen.

Les médias allemands mettent régulièrement en parallèle l’attitude de von der Leyen dans ces conflits et son engagement en faveur du Green Deal avec le rôle prépondérant que joueront les Verts dans la désignation du prochain représentant allemand à la Commission européenne. En effet, elle a besoin de leur approbation si elle veut avoir une chance réaliste de briguer un second mandat. Cette situation complexe laisse présager quelques manœuvres politiques intéressantes en 2023, qui n’auront peut‑être que peu de sens à court terme, mais qui seront d’autant plus compréhensibles que les candidats se bousculeront au portillon.

Publié par Alfons Scholten

Professeur en Allemagne : histoire, politique, religion, apprentissage interculturel Ancien président de l'EBB-AEDE Allemagne Expert Erasmus+ pour le Comité européen des régions (2018-2019)

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