Chaînes d’info : le rendez-vous manqué

Véronique Auger
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Le discours sur l’état de l’Union de la Présidente de la Commission européenne a fait peu de bruit en France. Malheureusement. Pourtant, que d’informations dans son propos de 90 minutes ! Que de décisions stratégiques qui vont impacter les citoyens européens et donc nos concitoyens !

Il y a bien évidemment le Plan de relance qui focalise toutes les attentions. Mais c’est l’arbre qui cache une forêt de changements radicaux. Mine de rien, Ursula von der Leyen a bousculé une quantité de postulats européens. Je ne m’arrêterai que sur quelques-uns.

Ainsi a‑t-elle annoncé son ambition de promouvoir un cadre européen pour que chaque État membre fixe un salaire minimum.
« Tout le monde doit pouvoir y avoir accès. Pour trop de personnes en Europe, le travail ne paie plus. », a‑t-elle dit.
Incroyable d’entendre cela dans la bouche de la ressortissante d’un pays qui, il y a peu, refusait d’instaurer un salaire minimum à domicile. Cette récente réforme lui donne toute légitimité pour qu’elle puisse prétendre l’élargir à l’ensemble des États membres. Les pays de l’est de l’Union ont dû entendre leurs oreilles siffler.

Autre ambition, démesurée elle aussi, « devenir un continent neutre en carbone d’ici 2050 », avec un renforcement des objectifs pour 2030. Noble propos dont elle ne nous donne pas la marche à suivre en se contentant d’expliquer qu’une étude a démontré « qu’on peut y arriver », qu’il faut montrer l’exemple au reste du monde et qu’il ne faudra laisser personne au bord du chemin. C’est avec ce genre de « y’a ka faut kon » que l’on emmène tout le monde dans le mur. En effet, il ne suffira pas d’accélérer la rénovation des bâtiments et d’émettre des obligations vertes pour compenser les dégâts sociaux dans des secteurs comme l’automobile ou l’aéronautique.

Concernant l’Europe de la santé, la Présidente se range, une fois n’est pas coutume, du côté des parlementaires européens et s’oppose au Conseil qui souhaite réduire le budget des programmes autour de la santé.

Enfin, Ursula von der Leyen ne se contente pas d’innover sur le terrain économique et social. Elle s’aventure, contrairement à ses prédécesseurs, dans des domaines plus sensibles. Ainsi de l’État de droit quand elle admoneste assez durement les États membres qui se plaignent de la lenteur de l’Union sur la question : « Soyez courageux, passez à la majorité qualifiée, au moins sur la question des Droits de l’Homme ». Ainsi de l’antisémitisme, du racisme, de l’exclusion des LGBT ou des Roms « de certaines zones ». Elle souhaite mettre en place un Plan d’action pour étendre la liste des crimes à toutes les formes de discours de haine. « La haine, c’est la haine et personne ne devrait avoir le droit de l’afficher. » Elle pousse le bouchon encore plus loin et annonce une « stratégie pour renforcer les droits des LGBT » avec comme objectif « la reconnaissance en Europe des liens familiaux ». Et elle précise : « Si vous êtes parent dans un État membre, vous l’êtes dans les autres ».

Des phrases généreuses et humaines mais porteuses de bouleversements sociétaux et sociaux gigantesques, y compris dans notre pays.

Et dire que son discours n’a pas été retransmis en direct par les télévisions tout info ! Ignorance ? Choix éditorial délibéré de ne pas traiter cette information pourtant primordiale pour les Français ? On surestime souvent le machiavélisme et on sous-estime souvent la bêtise. Mais quoi qu’il en soit, cette impasse est scandaleuse.

Alerté, Clément Beaune, le Secrétaire d’état aux Affaires européennes, a annoncé qu’il allait proposer de créer une mission parlementaire pour, je cite, « réfléchir à des mécanismes pour que cela change ». Mais, depuis 20 ans que je m’occupe de traiter ces questions, ce sont des dizaines de missions parlementaires qui se sont penchées sur le sujet sans jamais aboutir ! La seule réforme intelligente a eu lieu en 2008 quand les statuts de France Télévisions ont été modifiés. L’un des articles imposait à la Présidence de la télévision publique l’obligation d’avoir une émission autour de l’Europe sur chaque chaîne. C’est ce qui m’a permis de sauver chaque année « Avenue de l’Europe » sur France 3. Mais j’ai échoué à obtenir des créneaux horaires sur France 2 et même sur France 5, pourtant considérée comme la chaîne de la « connaissance » ! Réponse identique de chaque PDG : ça ne marchera jamais, personne n’y comprend rien à l’Europe…

C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de repartir de zéro. En tant que Présidente de l’Association des Journalistes européens, j’ai pris mon bâton de pèlerin pour convaincre les écoles de journalisme d’organiser des cours autour des affaires européennes. Il y a urgence puisque dans un an la France aura la présidence de l’Union et que ces jeunes journalistes vont devoir couvrir cette actualité.

C’est aussi pourquoi j’ai accepté la proposition de Martine Méheut de la remplacer à la présidence de la très belle association « Citoyennes pour l’Europe » qu’elle a co-fondée. Inviter les adhérent-e‑s à discuter autour d’une personnalité et d’un thème européen lors d’un « café européen », voilà qui contribue à la connaissance.

Il reste maintenant à convaincre les enseignants (et leur ministre) que sans eux rien ne sera possible. Une autre paire de manches !

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