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Aussi inhabituelle que brutale, la réaction épidermique autant que promptement annoncée, de Thierry Breton, Commissaire européen au marché intérieur, a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Elle a été encore plus spectaculaire car le membre français du collège bruxellois l’a voulue à effet immédiat, quittant ses fonctions et la capitale belge le jour même, et sans finir son mandat, qui ne s’achève formellement qu’à la prestation de serment des nouveaux Commissaires devant la Cour de Justice, à Luxembourg, une fois acquis l’adoubement par le Parlement européen, juge en dernier ressort, ainsi qu’il l’a prouvé lors des renouvellements précédents.
Cette démission a frappé car elle fait suite à un vote sans précédent du collège bruxellois contre le partant, sur initiative disciplinaire de Mme von der Leyen. Elle est encore plus retentissante car M. Breton venait d’être reconduit par le Président de la République, sans aucune objection, dans un contexte politique pourtant très agité.
Aux observateurs de la vie communautaire, elle confirme les dissensions internes au collège bruxellois, composé, rappelons-le de personnalités qui, dans leur mandat, agissent en toute indépendance, mais pas en toute irresponsabilité. Leur neutralité apparente n‘est pas pour autant une stérilisation des engagements personnels de chacun. Et les coups d’éclat, s’ils ne filtrent pas à l’extérieur, ne sont pas rares au Berlaymont, le soussigné en a vécu quelques mémorables, notamment à l‘époque de Ray Macsharry, père de la première réforme de la Politique Agricole Commune.
Il faut aussi préciser que les membres du collège bruxellois ne sont pas tous et toutes des politiciens professionnels, ce qui ne les prive pas d’une certaine sensibilité.
Pour certains, l’adoubement à la Commission est un bâton de maréchal couronnant une carrière de haut niveau, économique politique, associatif, syndical, universitaire même. Tel fut le cas de Raymond Barre !
Pour d’autres c’est un moyen de les exfiltrer de la politique nationale, et les exemples ne manquent pas. Il est du reste fréquent qu’au terme de leur mandat les Commissaires soient recrutés comme conseillers spéciaux ou administrateurs de grandes entreprises internationales, sous réserve qu’ils n’aient pas eu des relations suivies avec celles-ci dans leur mandat.
Mais la règle n’est pas totalement hermétique, et à cet égard, le cas de Martin Bangemann parti couler des jours idylliques qu’il espérait heureux mais en tout cas dorés, chez Telefonica a en son temps fait couler beaucoup d’encre et de salive.
Reste que pendant leur mandat, et passé la redoutable épreuve de l’audition et du vote d’intronisation par la commission compétente du Parlement européen, les heureux investis peuvent souffler un temps, avant de connaître d’autres pressions, en particulier de par l’avalanche des sollicitations.
Quant au reste, si les décisions sont collégiales, chaque Commissaire n’est pas pour autant livré à lui-même : il doit régulièrement rendre compte, informer, solliciter l’avis de ses collègues, le principe de collégialité voulant qu’on fasse le maximum pour arriver à un consensus, mais le vote à la majorité permettant le cas échéant de trancher. Quitte à ce que certains membres fassent connaitre leur désapprobation, après avoir proposé sans succès des amendements ou des variations, parfois inspirés par les intérêts de leur pays d’origine, mais non moins souvent, et plus heureusement, par l’intérêt du secteur ou de la politique dont ils ont la charge. Ainsi les frictions entre agriculture et environnement, ou industrie et commerce extérieur sont-elles célèbres, fréquentes et riches en… décibels !
Le mandat de commissaire semble un long fleuve tranquille ; au fil du temps toutefois, l’autorité accrue du Parlement européen rend la position plus délicate face au remous des questions et des critiques. De même les exigences de la lutte anti-fraude ont rendu le suivi des agissements plus pesant et parfois très périlleux. Les habitués des coulisses bruxelloises se souviennent ainsi d’un Commissaire maltais contraint à la démission dans la nuit pour des soupçons de corruption jamais totalement élucidés, la Cour de Justice ayant évoqué un doute plus diplomatique que pragmatique.
Enfin les sautes d’humeur répétées, le dialogue au vitriol entre Commissaires, ou entre l’un d’eux et le Président peuvent aussi conduire à des éclats comparables à ceux des gouvernements nationaux, notamment lorsqu’il s’agit de coalitions parfois difficilement constituées. Ainsi Édith Cresson s’est-elle attiré les foudres de ses collègues, du Parlement et des organes de contrôle pour ses agissements et pour le recrutement de son dentiste à son cabinet, sans compétence au regard des dossiers à traiter, d’où des invectives et allusions, auxquelles, fidèle à son image, elle répondit vertement. Devant la menace d’une censure du collège, le Président, Jacques Santer, lui-même fortement attaqué pour son laxisme, présenta la démission du collège entier, créant ainsi une précédent spectaculaire, avec en particulier la nomination de nouveaux Commissaires, ou leur reconduction, pour la durée restante du mandat, sans assurance d’être reconduits l’année suivante pour un mandat plein.
Que dire de ces aléas et de ces soubresauts ? Les incompatibilités d’humeur entre membres du collège ne sont pas nouvelles, et sont aléatoires Seul leur contexte est à relever, et il est souvent lié à l’excès de zèle ou de patience face aux grandes politiques, en particulier la concurrence et le bras-de-fer toujours latent avec Chine, Japon, USA, Mercosul.
Mais ce coup de projecteur ne restera pas sans lendemain : l’arrivée de Commissaires d’extrême-droite et même le portefeuille de vice-président promis à l’un d’entre eux risquent de déclencher des avis de tempête dans les couloirs bruxellois. Du moins ne pourra-t-on plus accuser les pilotes de la machine européenne d’être coupés du monde du fait même qu’ils sont coupés entre eux !