- Mon Europe – 18 décembre 2020
C’est quoi l’Europe ? De quoi et de qui parle-t-on ?
Pour le géographe, c’est un continent. En réalité, elle n’est que l’extrémité de l’Eurasie qui s’éclate en îles et péninsules en approchant l’Océan atlantique.
Pour l’historien, c’est d’abord le Conseil de l’Europe dans l’ordre chronologique. Il réunit 47 pays jusqu’au Caucase et accueille la Turquie et la Russie qui ont l’essentiel de leur territoire dans la partie asiatique de cette Eurasie.
Pour le citoyen, c’est l’Union européenne qui réunit 27 pays et qui s’apprête à en accueillir d’autres dans un futur non daté.
C’est aussi l’Europe de la monnaie unique partagée par 19 pays et que d’autres peuvent rejoindre. Comment qualifier cette création ? Longtemps une Communauté, désormais une Union, ou encore une Fédération d’États-nations selon l’expression de Jacques Delors. Certains parlent d’un OPNI, objet politique non identifié, mi‑fédération, mi-confédération et/ou mi-souverainiste, mi libre‑échangiste. Elle est tout cela à la fois.
Dans ce propos, il s’agira de l’Union européenne. Elle a tenu sa première promesse : la paix. Dans ses débuts, on parlait de construction européenne. L’expression a disparu du langage politique et médiatique. Il faut croire que la maison est désormais hors d’eau.
L’objectif était simple à comprendre : dépasser le choc des nationalismes qui conduit à la guerre. À cette époque des années 1950, c’était une évidence. Nul besoin de référendum et de débats interminables. Allemands et Français se sont fait la guerre à trois reprises de 1870 à 1945, soit trois quarts de siècle. Il était temps d’arrêter. Ce fut fait. Voilà une promesse tenue par les responsables politiques à qui il est souvent reproché de ne pas respecter leurs engagements…
Cette Communauté de départ appartenait au « monde libre » dans le contexte de guerre froide. Elle était la face contraire des totalitarismes de l’Est et des dictatures du Sud. Il y avait par conséquent une seconde évidence : cette Europe était une terre de libertés.
Les dictateurs du Sud ont dû céder la place en premier en Grèce, en Espagne, au Portugal. Leurs peuples furent accueillis, et c’était normal et attendu. Un mur à Berlin, un rideau de fer le long de la frontière de l’Est séparaient d’autres Européens. Ces obstacles ont sauté, et refuser l’entrée de ces pays dans l’Union était impensable. On avait laissé tomber ces pays à de nombreuses reprises, dès 1938 pour la Tchécoslovaquie, avant de rester inertes devant les chars soviétiques à Prague en 1968, comme à Budapest en 1956. Nous avons laissé Hitler et Staline se partager la Pologne en 1939 sans bouger. Ces souvenirs sont dans la mémoire de ces peuples. Impossible de les laisser tomber à nouveau et de leur fermer la porte.
Ce fut trop rapide sans doute. Dire « non, et on verra plus tard », était incompréhensible.
Aujourd’hui cette Union est également une terre de prospérité. Il est impossible de prouver ce qu’aurait été la situation de chaque pays sans la force de cette Union. Et cette prospérité générale n’empêche pas l’existence de situations sociales difficiles : chômage, précarité, pauvreté, salaires et pensions faibles, conditions de travail éprouvantes… Il y a toujours eu des pauvres dans les pays riches et des riches dans les pays pauvres. Mais il n’y a pas sur la planète un endroit où se trouvent réunis développement économique, protection sociale, libertés publiques et individuelles. Qui dit mieux ? Il suffit de regarder vers quels pays se dirigent les populations qui fuient la guerre et la misère, demain le dérèglement climatique.
Paix, libertés, prospérité : c’est le bel acquis depuis 1945.
Problème cependant : l’Union européenne n’est pas toujours facile à identifier. Le système est bien compliqué et aussi très nouveau. Ce n’est pas un État. Il n’y a pas de peuple européen. Il y a 24 langues officielles et 3 de travail (français, allemand, anglais). Elle n’est pas une nation. Elle n’a pas de capitale ou plutôt plusieurs. Ses institutions sont installées à Bruxelles, Strasbourg, Luxembourg et Francfort. Ses agences, constituant une part de son administration, sont réparties dans plusieurs pays. Il n’y a pas d’État donc pas de Chef d’État ni de gouvernement. Il ne manque pas de Présidences : à la Commission, au Conseil européen , au conseil des Ministres de tous les États, de l’Eurogroupe, de la Banque centrale (nommé par les chefs d’État et de gouvernement de la Zone euro).
Pas facile pour un citoyen de s’y retrouver. L’Union a cependant un Parlement mais il apparaît lointain et il lui manque deux pouvoirs essentiels : avoir l’initiative de la loi appelée directive et le droit de décider des recettes du budget. Certes nous sommes des citoyens européens mais, là encore, à condition d’être ressortissants de l’une des nations qui composent cette Union.
Voilà bien une situation unique au monde pas toujours comprise. En même temps, c’est la plus belle aventure politique de l’histoire du monde. Elle ne se prétend pas un modèle. Elle peut servir de référence pour tant de réconciliations à réaliser entre ennemis actuels ou historiques. Elle n’efface pas les nations et se refuse à être un empire dominateur. Tout est équilibre et compromis.
Malgré ces complications, nous sommes des Européens qui veulent rester ensemble. Seul le Royaume-Uni a décidé de quitter la famille. Son histoire, son identité insulaire n’y sont pas pour rien mais c’est dommage. Il a toujours freiné les avancées européennes : il a refusé la monnaie unique, il s’est écarté de l’espace Schengen et de la libre circulation des personnes, il voulait retrouver son argent loin de la solidarité budgétaire.
Tous les autres peuples n’ont pas envie de se quitter même quand ils grognent contre les politiques menées. Qu’est-ce qui peut bien les unir et expliquer cette détermination ? Le marché unique, le commerce facilité, les apports financiers, certaines politiques communes comme l’agriculture, l’euro pour ceux qui en disposent ? Sans doute tout cela à la fois.
Mais il y a plus, et c’est l’essentiel, ce sont les valeurs de référence et leurs principes d’application : respect de la dignité humaine, État de droit, démocratie pluraliste, liberté d’expression, liberté de conscience, égalité entre les hommes et les femmes. Voilà ce qu’il faut entretenir dans l’esprit de chaque citoyen. Car le pire pour l’Europe serait le désamour de ses peuples, l’indifférence d’abord, le rejet ensuite.
On n’en est pas là mais la flamme européenne doit sans cesse être ravivée dans le cœur des peuples. Qui parle de l’Europe sous cet angle et avec cet esprit ? La plupart des membres du Parlement, mais ils sont peu nombreux (705 au total dont 79 pour la France). Dans notre pays, on compte 925 députés et sénateurs, soit près de 12 fois plus. Et tous ces députés européens ne sont pas convaincus de la nécessité de l’Union et certains veulent en sortir. Il en reste donc très peu. Des associations, des fondations s’impliquent avec engagement. Les média parlent de l’Europe le plus souvent quand elle traverse une crise. Telle est la situation.
Un document devrait être mieux connu et davantage exploité : la Charte des Droits fondamentaux entrée en vigueur le 1er décembre 2009 en même temps que le Traité de Lisbonne. Elle est à l’Europe ce qu’est à la France la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, et au monde la Déclaration universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948. Autour de ces textes qui sont notre socle commun il faut que nous soyons nombreux à nous ériger en « Instituteurs d’Europe » et en devenir les « Hussards bleus ». Personne ne souhaite renoncer à ses identités qui sont plurielles. Chacun a cependant compris que dans le monde qui voit naître ou renaître des empires et qui approche les 10 milliards d’habitants une nation seule ne peut pas disposer d’une souveraineté totale. L’Union devient alors une volonté et une nécessité.
Ayons en mémoire cette phrase de conclusion du philosophe Edmund Husserl dans son livre « La crise des sciences européennes » en 1935. Elle frappe par son actualité de tout temps : « Le plus grand danger qui menace l’Europe, c’est la lassitude ». Quatre vingts ans plus tard, remplaçons-la par une autre : « La plus grande chance pour l’Europe, c’est l’espérance ».
andre.badiche@orange.fr
merci Bernard Poignant
ma fille Anne Désille-Badiche, et sa famille ,
a choisi de s’installer à Quimper
elle est en bonne compagnie avec vous