Comme l‘on pouvait s’y attendre, mais pas à ce niveau de délire, les premiers jours de la nouvelle ère Trump aux États-Unis ont donné lieu à un déferlement sans précédent à ce niveau de transes et d’outrances. De quoi faire réfléchir sinon fléchir les États ayant placé leur confiance, et souvent leur défense, dans les mains de Washington. Les pauvres se retrouvent ainsi pieds et poings liés devant le déferlement de menaces et d’exigences du Président réélu de la première puissance économique au monde. De quoi amener à réfléchir sur l’échec jadis (1954) de la Communauté Européenne de Défense, dont le général de Gaulle dira ultérieurement : « les cadavres étaient encore tièdes », signifiant par là que, comme pour ce qu’on appelait encore le « marché commun », il n’était pas au départ pour mais que, face aux velléités impérialistes d’outre-Atlantique, alors pourtant infiniment moins délirantes qu’aujourd’hui, il se résignait bien volontiers à une Europe dans laquelle « Notre Dame la France » trouverait abri et répit.
Subitement en effet, les tonitruments du locataire de la Maison Blanche nous ont replongés dans l’esprit étroitement mercantile et subrepticement impérialiste de Yalta, où se joua, entre deux hommes et deux superpuissances, un partage du monde d’où la France avait été soigneusement tenue à l’écart. Nous sommes aujourd’hui dans le même rapport de force et de faiblesse ; soit l’Europe parle d’une seule et même voix, en faisant valoir ses efforts pour coordonner ses industries d’armement et rapprocher ses armées, se doter d’un bataillon spécifique encore plus étoffé et de casques bleus aux 12 étoiles, soit D Trump disposera des uns et des autres au gré de ses sautes d’humeur et de fureur. Et qu’on ne compte pas sur lui pour assurer évidemment le respect des accords passés et de la parole donnée, qui sont la base même de la diplomatie. Washington semble hélas durablement éloigné, par principe autant que par opportunisme, du respect des autres, qui n’est jamais que la forme la plus mûre du respect de sa propre démocratie interne. Avec pour ligne directrice et pour morale de ne pas considérer que tout ce que les prédécesseurs ont bâti est médiocre et à détruire, mais au contraire apporter sa brique au mur ainsi érigé, et le renforcer, l’orienter différemment, le prolonger. Tout l’art de la nuance face aux décibels de l’outrance…
On sait très bien que les États-Unis n’ont pas spontanément ce réflexe et ce respect : se souvient-on de la stratégie sanglante dont ils ont fait montre face au Chili de Salvador Allende ou, plus hypocritement mais tout aussi significativement, face au régime en place à Grenade en 1983, une opération en dehors de tout danger et de toute légalité et qui fut condamnée par un vote unanime des Nations Unies. Plus près de nous dans la géographie mais un peu plus loin dans l’histoire, rappelons-nous la succession de gouvernements fantoches et d’élections truquées dans la Grèce des années 1950 et 1960, jusqu’au coup d’état des colonels, puis des généraux, habilement manœuvrés dans la coulisse ! Décidément, les yankees sont incurablement les mêmes : pour la démocratie tant qu’elle leur est favorable. Et dans le cas contraire prêts à la fouler aux pieds sans vergogne et en recourant à tous les moyens pour reprendre le contrôle de la situation. Eux ne parlent pas en termes de légitimité mais de marchés ! Dès lors, tout ce qui n’est pas déjà conquis est un vaste Far West à conquérir et les gens du cru des Indiens à exploiter ou à chasser !
Sur cette toile de fond incurablement collée à leur peau, et dont ils s’accommodent parfaitement, les nouveaux et autoproclamés maîtres du monde, au nom de leur pouvoir retrouvé outre-Atlantique, ont beau jeu de surenchérir et de pousser le bouchon à des distances impensables sous nos latitudes. Ainsi remettent-ils en question sans aucun scrupule le respect des frontières internationalement reconnues. Comment osent-ils encore se dresser, mais si timidement, face à M. Poutine et à la situation en Ukraine alors qu’ils revendiquent la fusion du Canada avec leur propre système, et l’annexion pure et simple du Groenland ? Ce territoire a beau n’être peuplé que de 57 000 habitants, il n’a pas moins dit et répété jusque dans les urnes, sa ferme résolution de rester autonome dans la mouvance du Danemark, et associé mais distinct de l‘Union européenne. Ainsi en a décidé un référendum démocratiquement tenu en 1982, confirmé par une consultation populaire identique voici quelques mois. Seuls les Américains semblent ne voir dans cette vaste étendue qu’un comptoir ou plutôt qu’une carrière riche de métaux rares.
Combien de temps faudra-t-il accepter cette stratégie du marchand de soupe plutôt que la démocratie participative, et des échanges librement négociés plutôt qu’un maquignonnage brutalement imposé ? Tout est dans l’art de la nuance, un terme que ne semble pas connaitre l’équipe présidentielle américaine ! Alors oui, une fois encore, l’Europe justifie ainsi sa présence et son importance, comme contrepoids ou garde-fou, tant commercialement que politiquement. Preuve si besoin en était encore qu’un peu d’internationalisme et d’interdépendance négociée éloigne de l’indépendance mais que beaucoup y ramène : pour la consolider, l’enjoliver, la pérenniser. Loin d’être facteur de dissolution, l’Europe est ainsi source d’évolution et de révolution, et garantie de solution équitable et surtout, librement consentie ! Cela de tout temps n’a pas de prix ! Le passé est là pour nous le rappeler : ne lui tournons pas le dos, ceux qui ont cru bon de le faire l’ont payé très cher !
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