Comment aborder, à moins d’un an de futur scrutin, la question de l’enjeu de la future élection européenne de juin 2024, la dixième depuis l’élection du Parlement européen au suffrage universel direct en 1979, avec l’élection de Simone Veil à sa tête ?
Retour sur l’élection de la Commission européenne de 2019–2024
Lorsque l’on regarde la composition des sept groupes politiques actuels au Parlement européen, le parti populaire européen (PPE où siège LR) arrive en tête avec 176 sièges, suivi de Socialisme et démocratie (S&D où siègent Place publique et le PS) avec 145 sièges, puis de Renew (où siège Renaissance) avec 103 sièges. Lors des législatures précédentes, le PPE et S&D avaient à eux deux la majorité absolue. Ce n’est plus le cas dans la mandature 2019–2024 : il faut au mois trois groupes politiques pour atteindre la majorité et la prépondérance du PPE n’est plus absolue, comme on l’a vu lors du dernier vote sur la préservation de la nature où le PPE a été mis en minorité et finalement battu.
À l’initiative de son président, Manfred Weber, le probable détachement de la partie la plus à droite du PPE afin de rejoindre les groupes les plus conservateurs ou anti-européens de l’échiquier politique européen, à savoir les Conservateurs et réformistes européens (ECR : 64 élus) et ceux d’extrême-droite, Identité et Démocratie (ID : 66 élus) pourrait faire basculer la majorité vers ce nouveau conglomérat de la droite dure. N’occultons pas la montée des partis de droite en Europe, notamment en Italie (Georgia Meloni était la présidente du groupe ECR avant son élection à la tête du gouvernement italien) mais aussi en Finlande, en Suède, sans compter sa prépondérance en Pologne, en Hongrie et en Slovaquie ni son étiage élevé et en constante progression en France.
L’élection européenne n’est pas limitée à celle du Parlement européen
N’oublions pas non plus que l’enjeu des élections européennes ne se limite pas à élire des députés européens mais qu’il est bien plus large que cela.
Il s’agit, en effet, de renouveler la direction des trois plus grandes institutions européennes : celles qui font partie du « triangle institutionnel », composé du Parlement européen, du Conseil européen (les chefs d’État et de gouvernement) et de la Commission européenne.
Les détracteurs de la Commission, qui sont légion à dénoncer les abus de pouvoirs de « Bruxelles, une horde de bureaucrates », répètent à l’envi que la Commission est un organisme hors-sol, aux pouvoirs exorbitants et non-élu démocratiquement. de surcroît.
Qu’en est-il dans la réalité ? La candidate à l’élection de la Commission européenne de 2019, Ursula von der Leyen, proposée par Emmanuel Macron au Conseil européen à la place de Manfred Weber, membre d’un parti affilié au PPE, le CDU allemand, n’aurait jamais pu accéder à ces fonctions si elle avait uniquement promu les idées de son parti, ce qu’elle fit pourtant au début. Il lui a fallu rencontrer tous les autres groupes politiques du Parlement qui lui ont fait clairement comprendre que, si elle n’adoptait pas leurs principaux chevaux de bataille, (notamment sur l’action climatique, inspiratrice du Green Deal, le Pacte vert), elle ne recueillerait pas le suffrage de leurs membres. Et avec les seules voix de la droite, elle ne pourrait pas être élue présidente de la Commission européenne. Élue ? Oui, élue par les députés européens, ce qui fut le cas en juillet 2019 avec 52 % des voix, sur la base d’un programme complètement transformé.
Il ne s’agissait pas d’une élection au suffrage universel direct, comme l’auraient rêvé les fédéralistes européens, mais d’une élection au scrutin indirect, comme l’est celle des sénateurs en France, élus par les grands électeurs, eux-même élus au suffrage universel. Vient-il à l’idée de quiconque en France de contester la légitimité démocratique du Sénat et de prétendre que le président du Sénat, Gérard Larcher, n’a pas été élu, sous prétexte qu’il ne l’a été que par ses pairs ? Non, bien entendu.
De plus, une fois élue par le Parlement européen, et non désignée comme on le lit trop souvent dans la presse, Ursula von der Leyen a procédé à la répartition des postes de commissaires, en accord avec les États membres qui ont désigné leurs candidats selon leurs priorités.
Mais ce ne fut pas la fin de l’histoire puisque ces candidats ont dû affronter les députés fraîchement élus au cours d’auditions serrées, menées par les commissions parlementaires concernées, parfois par plusieurs commissions, afin de vérifier leurs habilités à exercer leurs futures fonctions. Et ce ne fut pas un parcours exempt de difficultés puisque la candidate française, Sylvie Goulard, a été recalée par le Parlement européen, ce qui a amené la France à désigner un nouveau candidat, Thierry Breton qui, au titre de son portefeuille de commissaire du marché unique, a pris une dimension prépondérante au sein de la Commission, notamment lors de la crise du Covid et du conflit en Ukraine avec ses conséquences sur l’industrie de la défense.
Ladite Commission (avec un grand C, celle-là), issue de ces auditions parlementaires a fait l’objet d’un vote d’approbation à 65 % en novembre 2019.
Imagine-t-on une telle procédure démocratique en France ? En caricaturant à l’extrême, on pourrait imaginer, à l’issue de l’élection présidentielle, le président de la République fraîchement élu proposer le poste de Premier Ministre à son (sa) chef(fe) de cabinet, le poste de ministre de l’Agriculture au jardinier de l’Elysée, le poste de ministre des Transports à son chauffeur et le poste de ministre de l’Intérieur à son garde du corps, sans qu’aucun ne fut jamais élu ? Et faire approuver la déclaration de politique générale de son (sa) nouveau (nouvelle) Premier(e) ministre par l’Assemblée nationale ?
Et quid des Spitzenkandidaten ?
Et si le principe des Spirtzenkandidaten (les candidats de pointe ou chefs de file) avait été appliqué automatiquement après l’élection européenne de 2019, l’ex-président du PPE, le leader du CSU, Manfred Weber, aurait dû être désigné par le Conseil européen pour être élu par le Parlement européen.
Or, ce candidat, qu’aucun électeur ou électrice des 26 autres pays que l’Allemagne ne connaissait, présentait l’énorme défaut de ne pas parler couramment le français, défaut irrémédiable aux yeux du président français. Même si l’emploi de la langue française régresse constamment au sein des institutions européennes au profit de l’anglais, la Commission devra être présidée de préférence par un ou une francophone, qualité que possède Ursula von der Leyen grâce à sa scolarité à l’école européenne d’Uccle. Elle est, de surcroît, parfaitement anglophone, ce qui est devenu indispensable pour compter aux niveaux européen et mondial.
Et si la droite dure gagnait les élections de 2024 ?
Imaginons maintenant la situation qui résulterait en 2024 d’une élection dont les résultats seraient dominés par une droite dure.
Si le nouveau futur groupe de droite totalisait plus de 50 % des voix, pas de problème ; son (sa) candidat(e) (Jordan Bardella ?), devrait être proposé(e) au suffrage du nouveau Parlement.
Mais si le score cumulé de cette nouvelle formation se situait entre 40 et 50 % des sièges, on pourrait imaginer une coalition de toutes les forces anti-droite pour faire barrage à celle-ci et présenter un candidat de compromis (Stéphane Séjourné ?), pour lequel voteraient plus de 50 % des députés ; ce qu’on appelle la politique du cordon sanitaire en Belgique.
Car, si avec le système des Spitzenkandidaten un(e) candidat(e) d’extrême-droite était automatiquement élu(e) avec quelque 40 ou 45 % des voix, il ou elle pourrait faire des alliances incongrues avec des groupes d’extrême-gauche, dont les positions anti-européennes ne sont guère éloignées.
Heureusement, ce système faussement démocratique ne sera pas d’application en 2024. Mais encore faudra-t-il mobiliser toutes les forces démocratiques afin de faire barrage à l’extrême-droite et éviter d’avoir un trio composé d’ex-PPE, d’ECR et d’ID à la tête des trois institutions majeures.
Un enjeu capital
Comme on le voit, l’enjeu de ces élections européennes du 9 juin 2024 est capital et ne se limite pas, comme aimeraient le croire certains, à un sondage grandeur nature en France à trois ans de la présidentielle de 2027. Le risque de se saisir de cette élection pour donner une leçon au locataire actuel de l’Élysée est bien réel, avec des conséquences qui seraient ravageuses au niveau européen. D’où la nécessité de se mobiliser à tous les niveaux pour inciter les électeurs à aller voter afin de renouveler les dirigeants des institutions européennes européens et non pas pour infliger une défaite au pouvoir en place en France. Il ne faut pas se tromper d’élection, ce serait une tragique erreur.
À nous de bien l’expliquer tout autour de nous.
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