Ukraine Europe,

interview d'Olivier Védrine

Olivier Védrine
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Au moment où les bruits de bottes se font entendre à la frontière ukraino-russe, nous avons interrogé Olivier Vedrine sur la vision qu’ont les Ukrainiens de l’avenir de l’Europe. La situation est sous tension. La pression sur l’Ukraine avec des inquiétudes pour le Donbass augmente suite aux déclarations du président américain Jo Biden. Le président russe Vladimir Poutine en profite pour faire une démonstration de force. Si l’on peut considérer que le risque d’un conflit est faible, experts et observateurs soulignent que la paix est fragile. Les escarmouches sont nombreuses. Une provocation peut tout faire déraper.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky se rend sur la ligne de front et entreprend de nombreuses consultations avec ses partenaires internationaux. Il pourrait venir à Paris prochainement pour rencontrer le président Macron. Il a demandé au secrétaire général de l’Otan de valider le plan d’action pour l’adhésion de l’Ukraine à l’Alliance atlantique.
Le CECI organisera une prochaine visioconférence dans le cadre de la Conférence sur l’avenir de l’Europe à laquelle participera Olivier Vedrine.

1. Le projet européen semble vouloir s’étendre à un pays comme l’Ukraine que vous connaissez bien, jusqu’aux frontières de la Russie. Comment le gouvernement et les citoyens de ce pays voient-ils les choses en ce début 2021 ?
Je suis arrivé en Ukraine, il y a presque 9 ans, invité au départ par un cousin éloigné, j’ai de la famille en Ukraine et en Russie. Quand la Révolution est arrivée, j’ai rejoint mes amis ukrainiens. J’ai compris rapidement que cette révolution était d’abord une révolution pour l’Ukraine pour changer de système, que le combat n’était pas seulement pour aller vers l’Union Européenne ni pour s’opposer à la Russie mais de plus en plus pour l’Ukraine, pour une nouvelle Ukraine ! Je pense que cette dynamique à la fois nationale et européenne est toujours présente chez les citoyens ukrainiens. Le gouvernement continue à faire avancer l’Ukraine vers l’Union Européenne même si les problèmes de corruption sont toujours présents et que certains oligarques font tout leur possible pour freiner les réformes.

2. Quelle est la vision que les Ukrainiens ont de l’Union européenne et quelle serait pour eux l’Europe idéale ?
Les Ukrainiens sont jaloux à juste titre de leur nouvelle indépendance, de leur culture, de leur histoire. Ils sont européens mais ne veulent pas d’une Union Européenne qui ressemblerait à une nouvelle l’URSS. Pour eux, l’Europe idéale est une Europe qui intègre et respecte les particularités régionales et nationales. Ils veulent une Europe qui les protège notamment de Poutine, et qui les soutienne dans les réformes en particulier dans la lutte contre la corruption.

3. L’annexion de la Crimée et la guerre dans le Donbass semblent être sorties des radars en Europe occidentale. Qu’en est-il réellement aujourd’hui ?
La guerre entre la Russie et l’Ukraine dans le Donbass n’est pas terminée. L’Ouest a malheureusement oublié cette guerre. Ce que je crains c’est que la baisse de popularité de Poutine en Russie et le développement des problèmes internes aux pays le poussent à aller chercher une victoire pour redynamiser sa propagande à usage national. Je crains que nous soyons encore dans une logique d’affrontements, le conflit pourrait reprendre et s’intensifier dans le Donbass entre la Russie et l’Ukraine. D’ailleurs le Pentagone a exprimé mercredi 31 mars son inquiétude face à la montée des tensions aux frontières de l’Ukraine et en Crimée après des rapports de l’armée ukrainienne sur des renforts de troupes russes dans ces régions.

4. Vous venez d’écrire un article pour votre journal Russian Monitor au sujet de la détention de Alexei Navalny. La Cour européenne des droits de l’Homme vient de rendre une mise en demeure de remise en liberté de l’homme politique car il y a une crainte pour sa vie. Quelle est votre position ?
Il est temps d’arrêter d’exprimer des inquiétudes et de prendre l’initiative dans nos relations avec Poutine. Nous devons exhorter les dirigeants occidentaux et européens à adopter une loi analogue à la loi Magnitsky, qui devrait inclure des responsables de la Russie, de la Biélorussie coupables de violations systématiques des droits de l’homme et impliqués dans la persécution des militants et des dirigeants de l’opposition. L’Europe a besoin de sa propre loi Magnitsky !
Cette loi, (Magnitsky Act), officiellement connue sous le nom Russia And Moldova Jackson-Vanik Repeal and Sergei Magnitsky rule of law Accountability Act of 2012, est une loi bipartite adoptée par le Congrès des États-Unis et le président Obama en novembre-décembre 2012. Ce texte prévoit d’appliquer des sanctions financières et des interdictions de visa contre les fonctionnaires russes suspectés d’être impliqués dans le décès de l’avocat Sergueï Magnitski, symbole de la lutte contre la corruption du système politique, dans la prison de la Boutyrka de Moscou en 2009. Pourquoi ni l’Allemagne ni la France n’ont jusqu’à présent adopté une loi du même type que la loi Magnitsky, malgré le fait que les meurtres de Magnitsky, Politkovskaya et Nemtsov, la tentative de meurtre de Navalny et de nombreux autres cas flagrants, comme l’empoisonnement de Skripal sont des cas directement liés les uns aux autres ? Le manque de l’adoption d’une telle loi laisse un sentiment d’impunité pour les organisateurs et les exécutants de ces crimes.

5. Le CECI dont vous êtes un contributeur en Ukraine travaille sur les questions de citoyennetés avec un S et les Identités avec un S également. Comment voyez-vous la cohabitation éventuelle d’une citoyenneté ukrainienne avec la citoyenneté européenne ?
Comme je l’ai dit avant dans cette interview, les Ukrainiens sont européens mais ne veulent pas d’une Union Européenne qui ressemblerait à une nouvelle l’URSS. Pour eux, l’Europe idéale est une Europe qui intègre et respecte les particularités régionales et nationales. Dans ce cadre-là, je pense que les Ukrainiens seraient très fiers et heureux d’avoir un passeport européen.

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