Dans les années 2015, les bouleversements au sein du monde arabe, ont renforcé considérablement les flux migratoires vers l’Europe. Ces événements ont notamment révélé de nombreuses failles au sein du système européen de gestion des frontières extérieures. Les États frontaliers se trouvèrent rapidement dépassés et les pouvoirs de l’agence Frontex furent renforcés progressivement. Aujourd’hui, les récentes actualités démontrent bien que la question du respect des droits fondamentaux est plus que discutée.
Frontex, encore appelée agence européenne des garde-côtes et garde-frontières est entrée en fonction le 1er mai 2005 dans le cadre de l’Espace de liberté, de sécurité et de justice. C’est une agence de l’Union européenne qui a pour but de coordonner la coopération opérationnelle aux frontières extérieures de l’Union européenne dans la lutte contre l’immigration clandestine.
L’agence a été réformée par un règlement en 2016 pour renforcer ces pouvoirs et permettre ainsi à l’Union européenne de gérer de façon indirecte les frontières.
Il convient, pour autant, de comprendre que cette compétence dévolue et renforcée à Frontex résulte de la nécessité d’une coopération plus étroite entre les États membres. Cette volonté d’aller plus loin dans la gestion intégrée des frontières se déroule dans une logique de plus en plus sécuritaire. Cette ambition se fait au détriment du respect des droits fondamentaux.
Pour autant, Frontex énonce sa volonté première de faire respecter les droits fondamentaux dans ses actions et missions conférées, cela depuis sa création.
Il protège également toute personne en migration, quel que soit son statut, contre les mauvais traitements et violations de ses droits fondamentaux, y compris en cas de renvoi dans un pays « tiers » (principe de non-refoulement). L’Union européenne le prévoit également dans le cadre de sa charte des droits fondamentaux qui est contraignante, mais aussi dans le cadre du mandat de l’agence Frontex.
Bien que des moyens juridiques et opérationnels soient prévus en vue de la protection des droits fondamentaux, de nombreuses difficultés sont à relater.
● Une perspective d’améliorations à nuancer
L’Agence est tenue d’élaborer une stratégie en matière de droits fondamentaux et de mettre en place « un mécanisme efficace » de contrôle de leur respect. Dans ce cadre, sont notamment prévus la nomination d’un officier aux droits fondamentaux, la création d’un forum consultatif sur les droits fondamentaux, le développement de programmes de formation prenant en compte les droits fondamentaux et l’adoption de codes de conduite visant à garantir le respect des droits fondamentaux dans toutes les opérations. Il est également prévu la possibilité pour le directeur exécutif de l’agence de suspendre ou de mettre fin à des opérations conjointes et des projets pilotes dans le cas où la violation des droits fondamentaux serait « grave ou susceptible de persister ».
L’introduction de ces instruments est à relativiser, puisqu’ils n’ont pas de force juridique contraignante, et que les textes présentent quelques zones d’ombre.
Par ailleurs, la gestion intégrée selon laquelle une coopération entre États membres est nécessaire, est complétée par le principe de « responsabilité partagée » défini à l’article 5 du règlement (UE) 2016⁄1624, qui implique que l’agence et les autorités nationales se partagent la responsabilité de la gestion des frontières par le corps européen de garde-frontières et de garde-côtes. Néanmoins, cet article rappelle clairement que « les États membres restent responsables en premier ressort de la gestion de leurs tronçons des frontières extérieures ». Cela démontre, par conséquent, qu’il existe bel et bien une insuffisance voire une absence totale de solidarité et de coopération opérationnelles qui participent à des défaillances involontaires dans la protection des frontières.
En effet, la Charte des Droits fondamentaux qui s’impose à Frontex, interdit de renvoyer quiconque aurait une crainte sérieuse de violations de ses droits dans le pays de renvoi. Ce principe est rappelé dans le mandat de l’agence sans préciser comment le garantir, ce qui pose problème surtout lors d’opérations en mer où les personnes migrantes ne peuvent s’adresser à un conseiller. Cela est d’autant plus préoccupant que les plans opérationnels de Frontex, qui en précisent les modalités, ne sont pas publics. Pourtant, les opérations de Frontex peuvent mettre en danger les personnes par des renvois ou des expulsions vers des pays où les violations des droits sont largement documentées, et ce, sans qu’un mécanisme ne puisse garantir que les personnes expulsées soient bien traitées à leur arrivée.
La pression est d’autant plus forte que la Charte des droits fondamentaux est juridiquement contraignante depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne et que le Conseil de l’Europe et la Cour européenne des droits de l’Homme se soient déjà prononcés dans ce domaine.
Le règlement de 2016 prévoit également la mise en place d’un mécanisme de traitement des plaintes en ce qui concerne la violation possible des droits fondamentaux. Pour autant, ce moyen se limite à des sanctions disciplinaires, ce qui rend Frontex juge et partie lors de la procédure contentieuse. Cela pose ainsi la question de la légitimité.
Ce mécanisme s’illustre également par l’inaccessibilité des recours judiciaires pour les migrants s’estimant victimes de violation des droits fondamentaux. En effet, il permet de mettre en place l’Officier aux droits fondamentaux qui est chargé du traitement des plaintes dans toutes les activités de Frontex. Il est indépendant dans l’exercice de ses fonctions, rend directement compte au conseil d’administration de Frontex et coopère avec le forum consultatif sur les droits fondamentaux.
Cette création prévoit donc une véritable stratégie en matière de droits fondamentaux mais elle ne modifie en rien l’impossibilité pratique d’engager la responsabilité de l’Agence du fait de ses agents et aucune possibilité de dédommagement n’est prévue par les textes.
Ces difficultés peuvent ouvrir les discussions sur la possibilité de créer un tribunal en matière d’immigration. Il permettrait ainsi de désengorger les recours devant la Cour de justice et marquerait un soutien aux migrants.
Cette ambition n’est pourtant pas la seule issue plausible, en effet une coopération plus encadrée entre les États-membres eux-mêmes et entre États-membres et Frontex pourrait renforcer la législation européenne en matière de gestion des frontières. Aussi, est-il nécessaire de définir une responsabilité claire, en cas de violations fréquentes aux droits fondamentaux. Pour cela, la stratégie technique et opérationnelle prévue par le règlement de mai 2019 pose la nécessité d’une coopération interservices efficace ainsi qu’une bonne gouvernance et bonne administration aux échelles européenne et nationale.
Les récentes actualités et notamment l’affaire du navire “océan viking” démontrent d’une particulière instabilité dans la gestion des opérations migratoires. En effet, le navire fait partie de la flotte de SOS Méditerranée France, qui est une ONG. Or selon Frontex, les missions de secours maritime « influencent la planification des passeurs et agissent comme un facteur d’attraction qui aggrave les difficultés inhérentes au contrôle des frontières et au sauvetage de vies en mer ».
Pourtant, Frontex et toutes les structures visant à garantir les droits fondamentaux, agissent dans un but commun. Par ces différentes actions et ambiguïtés, nous constatons que les textes européens et nationaux ne sont pas suffisamment clairs, ou encore, trop peu connus.
Alors que ces organismes sont plus que nécessaires, et leur action particulièrement importante, les difficultés existantes perdurent. Aussi, serait-il opportun de faire évoluer la politique d’asile et d’immigration.
● Une évolution nécessaire de la politique d’asile et d’immigration
Au-delà de Frontex, il est nécessaire que l’Union européenne fasse évoluer sa politique d’asile et d’immigration vers une conception de la migration non plus seulement orientée par les questions de la sécurité, mais également par la protection des personnes et le droit à la mobilité, ainsi que par la prise en compte de la migration économique en relation avec les besoins des marchés du travail et le développement. En particulier, la politique de collaboration avec des pays tiers devrait être repensée au regard du respect des droits fondamentaux et de la responsabilité de l’Union ou des États membres en cas de violation. Dans ce cadre, la Commission européenne a un rôle important à jouer, d’autant plus qu’elle dispose désormais de la possibilité de mettre en demeure un État membre, voire de saisir la Cour de justice de l’UE en cas de non-respect par ce dernier de ses obligations dans le cadre de la politique d’immigration et d’asile.
Les défaillances systémiques rencontrées, et le non-respect des droits fondamentaux dans la stratégie de Frontex ont plusieurs impacts. La politique d’asile nécessite un encadrement plus marqué, et les citoyens européens doivent être mieux avertis.
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