l’Europe à rude épreuve ou l’esprit d’un renouvellement

Emmanuel Morucci
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Ce 9 mai marque le 70e anniversaire de la déclaration de Robert Schuman qui lança le processus de la construction européenne. L’Europe, comme la moitié de l’humanité, est confinée sous l’effet de la peur de la pandémie. Mais elle l’a fait de manières diverses selon les États membres qui tiennent aux traditions sociales et politiques. La célébration sera cette année bien différente de celles des années passées. Pas d’école, pas de conférences, pas de manifestations en plein air, pas de réceptions municipales, pas de « grand public » pour entendre parler d’Europe.

Ce 9 mai n’aura pas été comme les autres.
Bien sûr la date est sur le calendrier mais les citoyens de l’Union européenne sont plus préoccupés par les dates de déconfinement échelonnées et l’espérance de la fin de l’épidémie que par la célébration du 9 mai 1950.
Le 9 mai fête officielle de l’Europe, cette journée, instituée en 1985 par décision des Chefs d’État et de Gouvernement lors du sommet de Madrid, commémore la désormais célèbre déclaration que fit le Ministre des Affaires étrangères français Robert Schuman le 9 mai 1950, et inspirée par Jean Monnet. Bien plus que le souvenir de la CECA, le propos marque le début du processus de construction européenne. C’est l’acte de naissance de notre Union européenne. 

Deux lourdes crises viennent bousculer les « ronrons » de l’Union. Le Brexit tout d’abord qui est entré dans sa phase de douze mois de négociations des relations futures entre le RU et l’UE et la pandémie qui oblige les Européens comme le reste de l’humanité à rester confinés.
L’Europe compte ses morts, constate ses difficultés à s’unir cette adversité et ses citoyens se mettent à regretter que l’Europe de la santé soit inexistante. De fait, la compétence est du ressort des États-nation. Chaque pays traite les questions de santé en fonction du traité d’union européenne, de sa loi fondamentale, de sa culture dans ce domaine. On a vu, ici et là, des résurgences d’égoïsme national ressurgir que les conseils européens n’ont pas vraiment réussi à contenir. Ce doit être une leçon.
Ainsi, la Commission est devenue en ce temps de crise lourde le ciment entre les Européens par ses actions et prises de décisions finalement validées par la plupart des États-membres. Elle ainsi joué son rôle d’exécutif de l’UE. Elle démontre également que c’est par l’Union que l’Europe s’en sortira et non pas par les divisions ou les menaces de sortie. 

« L’Europe ne s’est pas faite nous avons eu la guerre » rappelait Robert Schuman. On peut actualiser la citation et dire que nous n’avons pas eu, malheureusement, l’Europe de la santé. On se rend compte aujourd’hui de ce manque. En cas de grandes crises sanitaires, ce qui risque de se renouveler, nous avons besoin d’un ensemble. Il faudra y répondre sans perdre une partie de la subsidiarité, concept développé dans le cadre de la doctrine sociale de l’Église Catholique qui est aujourd’hui un principe de réparation dans la collaboration, inscrit en tant que tel dans le Traité d’Union européenne. Ce qui ne fait pas mentir Jean Monnet :  « L’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises ». On y est.
Une fois encore on voit que l’UE s’affine et s’affirme en fonction des crises qu’elle rencontre. La santé est certes une compétence nationale mais elle a besoin d’un socle commun. Sur cette question, comme sur d’autres, l’UE est à la croisée des chemins. Les Européens doivent affirmer la direction d’une plus forte intégration. 

Carl Gustav Jung écrivait « Les crises, les bouleversements et la maladie ne surgissent pas par hasard. Ils nous servent d’indicateurs pour rectifier une trajectoire, explorer de nouvelles orientations, expérimenter un autre chemin de vie ». Tous les ingrédients sont présents pour « penser l’Europe » pour reprendre l’injonction d’Edgar Morin1 et abandonner les idées fragmentaires.
Pas « repenser l’Europe » comme semblent le vouloir quelques uns mais bien penser l’Europe. Celle que nous n’avons pas encore mais qui est déjà là. Celle qui nous fait prendre conscience que, « nous sommes dans une crise de l’humanité qui ne parvient pas à accéder à l’humanité » pour continuer avec Morin. Car c’est bien d’humanité qu’il s’agit. Et même de sa sauvegarde. Sur cette question l’UE doit être un moteur dans le monde. Notamment vis à vis des grands états continentaux comme la Chine, L’Inde, les Etats-unis d’Amérique, le Brésil, la Russie et d’autres.
L’homme, et c’est la grande leçon que nous donne la pandémie, ne peut plus être considéré comme un consommateur potentiel. Il doit être dans son environnement et en paix. Les européens prennent la mesure de ce qu’ils ont lâché au Marché mais aussi des conséquences de leurs divisions. 

Ainsi l’UE doit redevenir communauté de destin pour ses citoyens et acteur premier sur la scène internationale notamment par la diffusion de ses valeurs fondamentales. L’UE doit se penser comme puissance certes, et se construire un leadership, mais elle doit rester fidèle à son essence, à ce qui fait sa différence avec les autres régions du monde. Pour cela elle doit évoluer en son propre sein. Il faut aussi se souvenir de la forte affirmation d’un Jacques Maritain pour qui « la fédération européenne ne pourra s’édifier et se maintenir que si elle est vivifier de l’intérieur par un sentiment d’appartenance fondée sur la reconnaissance de valeurs communes. Il faut un idéal et un esprit de civilisation commun, l’interdépendance économique n’est en aucune base matériel »2.
Autrement dit l’Europe repose aussi deux dimensions l’une philosophique et l’autre anthropologique. Il s’agit, comme pour les crises du coronavirus et celle du Brexit, de revenir aux fondamentaux et nous appuyer sur ce qui a fait la civilisation européenne. 

Ainsi, comme le souligne Schuman elle se doit de créer « un lien semblable à celui dont naguère se sont forgées les patries. L’idée d’Europe, « sera la force contre laquelle se briseront tous les obstacles »3.

Cette citation résume la pensée du personnaliste Robert Schuman que l’on peut rappeler en ce soixante-dixième anniversaire : « Au-delà des institutions et répondant à une aspiration profonde des peuples, l’idée européenne et l’esprit de solidarité communautaire ont pris racine ». 

1 Edgar Morin, Penser l’Europe, 1987, Éditions Gallimard, Paris.
2 Paul Valadier, Maritain à contre-temps, Pour une démocratie vivante, 2007, Éditions Déclée de Brouwer, Paris.
3 Robert Schuman, Pour l’Europe, 1963, Éditions Nagel, Paris. 

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