Alexandre Grillat

UE et énergie, quelle politique ?

En matière d’énergie, l’Union Européenne cherche encore sa politique industrielle et prend le risque que son Green Deal soit made in China ou in USA

Depuis 2021, l’Europe est confrontée à une crise des prix de l’énergie sans précédent.
Les raisons sont structurelles, avec entre autres l’organisation fondamentalement libérale du marché de l’énergie, appelé Market Design, la sortie allemande du nucléaire et son corollaire, la dépendance au gaz russe.
Elles sont aussi conjoncturelles : la reprise post-COVID, avec des prix de l’électricité et du gaz qui ont flambé sur les marchés européens et qui atteignent des niveaux insupportables tant pour les entreprises que pour les citoyens. La crise russo-ukrainienne n’a fait qu’aggraver la crise, en doublant cette crise des prix par un risque de pénurie du fait des tensions croissantes sur la sécurité des approvisionnements énergétiques de l’Europe.

Dans nombre de capitales européennes, l’urgence a conduit à prendre des mesures de boucliers tarifaires aussi protecteurs que bienvenus, et de mécanismes de soutien financier aux entreprises, mais souvent en ordre dispersé au risque de créer de véritables distorsions de concurrence entre les différentes économies européennes. Le plan allemand de soutien à l’économie de 200 milliards d’euros en est la parfaite illustration.

Mais si cette crise devait durer, malgré l’accalmie connue début 2023, les États auraient alors bien du mal à perpétuer ces dispositifs au regard de leur coût pour les finances publiques. Au risque de ne plus pouvoir éviter la débâcle industrielle qui résulterait d’un écart durable de compétitivité énergétique entre l’Europe et le reste du monde, car ce n’est qu’en Europe que les prix de l’énergie ont à ce point flambé. Ce sont alors les délocalisations des industries, en particulier les « énergo-intensives », qui pourraient s’emballer. Une catastrophe industrielle doublée d’une crise sociale… sans oublier l’abandon de souveraineté économique.

Le directeur général de l’Agence Internationale de l’Énergie a d’ailleurs déjà exprimé son inquiétude sur l’hiver prochain qui pourrait être encore plus compliqué que le précédent en matière de sécurité des approvisionnements énergétiques de l’Europe.

Il y a donc urgence à aller au-delà des mesures de circonstance et à revoir de fond en comble le marché européen de l’énergie.

La Présidente de la Commission européenne l’a reconnu elle-même. Le marché dysfonctionne et il faut le réparer, quitte à remettre en question trente années de dogmes libéraux à Bruxelles, mais les résistances sont nombreuses, dans les services de la Commission comme dans quelques pays qui ne jurent que par le libre-échange. Rappelons que le marché guidé par la seule concurrence libre et non faussée n’est pas une fin en soi, et dans le secteur de l’énergie, une application plus que rigoriste de la loi du marché peut nous faire passer à côté de l’essentiel, à savoir construire une vision de long terme qui assure la sécurité des approvisionnements et la neutralité carbone.

C’est bien là l’enjeu des prochains mois : réorienter la construction européenne de l’énergie pour quitter le dogme du marché et revenir aux priorités de toute politique énergétique, en tenant compte notamment qu’avec la digitalisation de nos économies et de nos sociétés l’électricité est plus que jamais un bien essentiel relevant de l’intérêt général. Car il en va de l’avenir de l‘industrie européenne et de la prospérité économique du continent.

L’ambition climatique, qui est vitale, ne peut pas faire l’impasse sur la question de la sécurité énergétique. La sécurité énergétique de l’Europe sera probablement et logiquement un des sujets à venir des élections européennes du printemps 2024. Mais à en croire les annonces faites par la Commission le 14 mars dernier, la réforme du marché de l’énergie risque d’accoucher d’une souris… et encore, puisque certains États-Membres se réfugient derrière l’accalmie actuelle sur les marchés de l’énergie pour tenter de réduire la réforme à sa portion congrue.

Certes, la Commission européenne a publié ce printemps le Net Zero Industry Act ou NZIA comme réponse au plan américain appelé IRA ou Inflation Reduction Act, qui ne vise à rien moins que faire du protectionnisme vert. Favoriser l’industrie européenne des énergies renouvelables, y compris gazières, face à ce protectionnisme vert américain, cela va dans le bon sens. D’autant plus, serait-on tenté de dire, qu’Outre-Atlantique, le terme vert englobe de nombreuses technologies bas carbone, dont le nucléaire, puisque l’IRA subventionnera une large palette d’investissements nucléaires.

Oui, le NZIA va dans le bon sens. Mais en Europe, l’idéologie verte continue de régner en maître à Bruxelles : le NZIA évoque le nucléaire du bout des lèvres, et la Présidente de la Commission n’a pas hésité à dire que le nucléaire n’était pas stratégique en Europe. Elle semble avoir la mémoire courte puisque le traité Euratom, un des traités fondateurs de l’Union, stipule que l’UE doit favoriser les investissements nucléaires. Pire, en agissant ainsi, la Commission ouvre un boulevard à l’industrie nucléaire américaine pour conquérir les marchés des pays d’Europe centrale et orientale. Nombre de ces pays, impatients de construire, agrandir ou renouveler leurs parcs nucléaires, cherchent en effet un partenaire sur lequel ils peuvent compter dans la durée pour les aider technologiquement et financièrement. Certains, dont les Polonais, savent pouvoir compter sur leurs alliés américains. D’autres, comme les Hongrois, savent devoir compter sur leurs anciens maîtres russes, restés très présents dans le domaine énergétique.

Au-delà du nucléaire, ne perdons pas de vue que c’est aussi le GNL américain qui inonde le continent européen depuis plus d’un an.

Alors, que fait l’Europe, pendant que l’aigle américain et l’ours russe se disputent l’est de notre continent ? Eh bien, l’Europe choisit de regarder ailleurs. Dans sa fuite en avant vers les énergies vertes, y compris renouvelables intermittentes, considérées à Bruxelles comme la seule solution climatique acceptable, elle prend le risque de se laisser enfermer dans une dépendance à la Chine, qui maîtrise nombre de technologies vertes, solaire et véhicules électriques en tête, et exporte vers l’Europe de plus en plus de composants et équipements de celles-ci. Si la Commission faisait dès 2000 de la diversification des approvisionnements le cœur de sa stratégie, elle a très vite oublié ses propres recommandations….

Est-ce bien ça, une politique industrielle ambitieuse, la sécurité énergétique et l’autonomie stratégique européennes ? Et la course à l’exemplarité pour une forme de fondamentalisme vert que certains poussent à Bruxelles est-elle compatible avec l’impératif d’une stratégie de puissance industrielle ? Le débat est ouvert en amont des élections européennes… pour éviter que le Green Deal cher à la présidente de la Commission ne soit made in China ou in USA !

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