Une année agitée

Jacques Fayette
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Une venue au monde laborieuse

Le 1er décembre 2019, pour la première fois une femme, une Allemande née à Bruxelles, prenait la tête de la Commission européenne après avoir obtenu une majorité de 9 voix au Parlement européen (PE). Cette prise de fonction intervenait avec un retard d’un mois, suite au refus du PE de valider deux nominations de commissaires. On a même vu des États définir un « portefeuille » de compétences qui devait être attribué à « leur » commissaire renforçant le caractère intergouvernemental de l’UE.

Un programme ambitieux frappé en plein vol

La présidente s’est affirmée immédiatement comme à la tête d’une Commission géopolitique. Le pacte vert et l’innovation numérique constituaient les deux grandes directions sans renoncer aux politiques traditionnelles comme la Politique agricole mais qu’il fallait, plus que d’autres, « verdir ».

Et puis le coronavirus est arrivé. Dans un premier temps les États ont pris des mesures nationales, fermé leurs frontières, ce fut le chacun pour soi. En effet comme le démontre Luuk Van Middelaar (Van Middelaar, 2018), le système institutionnel européen n’est pas fait pour gérer les crises, c’est un système juridique de temps calme. Si une crise se produit, il appartient aux États séparément ou en coopérant, d’y faire face.

On a donc commencé à critiquer la Commission pour ne pas prendre des initiatives pour lesquelles elle n’était pas compétente. Cependant elle a réagi avec le soutien variable du Conseil européen et du PE. Les principes du traité de 2012 sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) ont été mis en sommeil de même que nombre de principes d’aide publique aux entreprises. La Commission a agi pour obtenir et distribuer les équipements de protection, rapatrier les Européens bloqués et garantir l’accès à un futur vaccin.

Comme l’expose le rapport sur l’année 2020 (Commission, 2020) l’étape suivante a consisté à relancer l’économie. « Le plan de relance proposé par la Commission, approuvé par le Conseil européen, puis soumis au PE et à tous les États membres, marque une nouvelle avancée dans l’histoire de l’UE. »

Le problème est que ce plan de relance coïncide avec la mise au point du Cadre financier pluriannuel CFP (2021-2027) auquel il a été malencontreusement lié et par là-même, mis en péril.

Au cours de cette période on a vu le Conseil européen, créé par Valéry Giscard d’Estaing, prendre l’essentiel des décisions. Alors que l’article 15 § (TUE) précise qu’il donne des impulsions et n’exerce pas de fonction législative, il a agi en violation des traités comme l’analyse Jean-Guy Giraud (Giraud, Le Conseil européen: un "souverain" auto-proclamé à la dérive, 2020).

La situation a été compliquée par la présidence tournante exercée par l’Allemagne. Angela Merkel a souvent laissé Charles Michel, le Président du Conseil européen dans l’ombre. Une illustration non anecdotique nous est donnée par l’établissement du CFP. Le 21 juillet, après cinq jours de négociations, les 27 chefs d’État et de gouvernement trouvèrent un accord pour le futur CFP assorti d’un plan de relance "Next generation EU" (NGEU) de 750 milliards, rabotant quelque peu la proposition faite en mai par la Commission.

Cet accord réduisait à peu de choses l’Europe de la santé, amputait des crédits Erasmus+ et rayait l’essentiel des financements relatifs à la Défense. La réaction du Parlement a été très hostile et c’est la présidente du Conseil de l’Union qui a sermonné le Président du PE, David Sassoli, pour lui rappeler que le compromis sur ce CFP avait été très difficile à obtenir, que le PE n’avait le droit que de l’approuver ou de le rejeter mais nullement de l’amender. Finalement le PE a obtenu des concessions notamment dans le domaine de la santé où le budget proposé par le Conseil a été multiplié par trois. Dans toutes ces tractations, la Commission a joué un rôle de conciliation, probablement au prix de quelques entretiens Merkel – von der Leyen.

L’image de la présidente

Un an après sa prise de fonction, la presse d’outre-Rhin et ses lecteurs ne sont guère plus tendres avec leur compatriote mais sauvée par la crise, elle a su démontrer une certaine capacité de réaction.

Côté France, malgré quelques interventions dans notre langue, certains pensent qu’elle utilise trop l’anglais, c’est le cas de Jean Quatremer, correspondant de Libération à Bruxelles, très présent sur les écrans. Il reproche à la Présidente de trop travailler, enfermée dans son studio du Berlaymont. Elle devrait selon lui, être pIus présente dans les medias (avec les journalistes) et sa créativité lui inspire ce tweet « La présidente s’est affirmée comme une présidente virtuelle au point que certains en arrivent à douter de son existence ».

Présidente pendant la présidence tournante de l’Allemagne dirigée par une chancelière dont elle avait été la ministre, Ursula von der Leyen a dû faire face à des événements sans précédent. Il conviendra d’analyser à la fin de l’année 2021, après des présidences portugaise et slovène, quels furent les effets de cette concordance.

L’année qui vient de s’écouler montre l’inadéquation entre l’architecture du système européen et l’évolution du monde. Que fera la Commission pour l’avenir de l’Europe, si elle arrive à se constituer ? La Chancelière a déclaré que la modification des traités ne devait pas être un tabou mais de nombreux États ne veulent pas en entendre parler. Il faut que quelques grandes voix émergent du PE pour rendre possible ce qui est nécessaire.

Références

Commission. (2020). Etat de l'Union 2020 - La Commission von der Leyen: bilan de la première année. Bruxelles: Office des publications de l'Union européenne.

Giraud, J.-G. (2020, octobre 12). Le Conseil européen: un "souverain" auto-proclamé à la dérive. Questions d'Europe - Fondation Robert Schuman(574).

Van Middelaar, L. (2018). Quand l'Europe improvise. Dix ans de crises politiques. (D. Cunin, Trans.) Paris: Gallimard.

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