Marie-Laure Croguennec

Une Europe pas si timbrée

Le décès de Jacques Delors largement et légitimement relayé dans les médias nous rappelle au travers du tracé de son œuvre combien l’Europe est entrée dans nos vies au quotidien. L’attribution la plus fréquente et peut‑être la plus visible est sans nul doute la mise en place de l’euro il y a 22 ans. Outre la stabilité économique qu’elle a affermie, cette conséquence heureuse du Traité de Maastricht n’est plus à démontrer et nous rapproche chaque jour les uns des autres.
L’utilisation de la monnaie unique contribue à nous sentir proches de nos voisins qui sont ainsi devenus tout sauf étrangers. Ne pas avoir besoin de changer d’argent quand on se déplace en Italie, Espagne ou Allemagne mais aussi en Finlande, Croatie ou Grèce est un atout considérable, et le partage d’un des symboles qui conscientisent la citoyenneté européenne par le sentiment d’appartenance. Au-delà de l’intérêt de ne pas avoir d’opération de change à effectuer, estimer les prix dans la même monnaie évite bien des tracasseries de conversion et se traduit par un confort reconnu par tous. À une autre échelle, les échanges commerciaux ne sont pas en reste non plus et se trouvent grandement facilités par ce marché monétaire.

La libre circulation des personnes et des biens acquise est aujourd’hui intégrée dans nos automatismes et nous permet d’enjamber les frontières avec une réelle et évidente facilité en prolongeant ainsi nos espaces de vie et nos territoires le temps du travail, de vacances ou encore d’études à l’image du succès du programme Erasmus+ qui façonne nos perceptions par une ouverture vers l’autre, à la rencontre d’une culture partagée.
Le périmètre considérablement élargi contribue à ouvrir nos horizons et donne à vivre pleinement ces liens qui font de nous des citoyens de l’Union.

Les mots pour le dire

Ainsi, à la manière d’une famille qui s’agrandit c’est le réseau des connaissances et des relations qui s’étoffe et s’élargit. En cette période d’échanges de vœux, je me suis rendue au bureau de poste acheter des timbres – jolis de préférence – à coller sur les courriers écrits pour amis et parents bretons et parisiens, mais aussi suédois et d’outre-Rhin.
Quelle ne fut pas ma surprise, et surtout ma déception, d’entendre dans les propos de la préposée que le prix du timbre, en les qualifiant d’internationaux, ne reconnaissait pas mes amis germains comme des cousins ?
Pensant à un vocable singulier et un usage des termes incombant à une personne isolée, j’ai quand même voulu vérifier, et me rassurer, en allant consulter le site internet de La Poste. Que nenni ! « Vous souhaitez envoyer une lettre ou des documents ailleurs qu’en France ? C’est possible avec La Poste. États-Unis, Chine ou même Italie, peu importe la destination, votre courrier ou votre petit paquet arrivera à bon port avec nos timbres destinés à l’étranger. » C’est dit, c’est écrit.
Peu importe ? Eh bien, non, il m’importe beaucoup au contraire de reconnaître et valoriser les liens qui se sont construits au fil des décennies depuis qu’un certain Robert Schuman suivi par d’autres a initié le chemin de la réconciliation franco-allemande et de la construction de ce qui allait devenir l’Union.
Il m’importe que le voyage d’une lettre soit aussi facilité que celui de son auteur, et que surtout nos concitoyens européens ne soient pas identifiés comme vivant « à l’étranger ». Non, nous sommes voisins, et c’est de les considérer étrangers qui serait étrange.
Il m’importe qu’au-delà du surcoût imposé l’affranchissement postal corresponde à une réalité et ne déconstruise pas l’appartenance à notre communauté de destin, et ne devienne pas tout bonnement « timbré ».

Des symboles plus que symboliques

Plus grave finalement, à l’inverse de tout le travail de construction européenne, voilà qu’au travers d’une politique tarifaire nationale de timbres postaux sont revendiquées des frontières dès le franchissement du Rhin, de la mer d’Iroise ou des Pyrénées !
Si la traversée de la Manche nous conduit aujourd’hui sur le territoire de la Perfide Albion dont les habitants ont fait un certain choix en 2016, qui leur a fait faire au minimum un pas de côté vis‑à-vis de la famille européenne avec les conséquences qui en découlent, comment concevoir que la mer d’Iroise qui relie Bretons et Irlandais soit dénaturée en devenant un passage de perte de sens de notre communauté ? Comment accepter que la traversée des Alpes suffise à bafouer nos repères historiques quand on se souvient qui furent les pays signataires en 1951 du Traité de Paris ?
Il doit bien rigoler, le Mont-Blanc…

J’entends déjà l’argumentation soulignant que ces décisions tarifaires relèvent de compétences nationales ; certes, mais sans le courage, la force et l’audace des visionnaires – et nationaux – Pères fondateurs, serions-nous arrivés aujourd’hui à la libre circulation des personnes et des biens ?
Sans Jacques Delors, serions-nous aujourd’hui dans cette avancée économique et monétaire reconnue unanimement ? « On n’affronte pas le présent et on ne construit pas l’avenir si on n’a pas de mémoire », rappelle Laurent Marchand citant l’ancien président de la Commission européenne*.
C’est par des actions concrètes que l’Europe se construit, et c’est par des actes du quotidien qu’elle donne à voir. Autant sinon plus que les grands discours, les symboles jouent un rôle fondamental dans la perception que se fait chacun des citoyens. Et c’est à nos gouvernants de s’y atteler. Il n’y a pas de petites causes, uniquement des causes justes.
Cap ou boussole, reprenons les rênes de notre destin, il y va des enjeux fondamentaux en cette année européenne 2024 qui s’ouvre à nous.

Alors en cette période de vœux, j’ose celui d’un tarif unique pour les envois postaux au sein de l’UE. Avec l’idée d’un timbre spécifique, un timbre européen.
Une suggestion d’illustration ? Un timbre à l’effigie de Jacques Delors.
Ce serait bien la moindre des choses.

*Ouest-France 30-31/12/2023 - 01/01/2024
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22 janvier et 4 septembre : l’année des 60 ans

L’année 2023 a débuté avec la célébration le 22 janvier du 60e anniversaire du Traité de l’Élysée incarnant la réconciliation franco-allemande signée par Charles de Gaulle et Konrad Adenauer.
Cette initiative en 1963, bien loin d’une simple signature, a non seulement scellé l’amitié entre les deux peuples longtemps belligérants, mais a constitué un socle pour ne pas dire un tremplin à la construction européenne. En effet, que serait l’Europe aujourd’hui sans cette base franco-allemande, nommée moteur ou couple selon la rive du Rhin ?

Toute initiative européenne passe par l’assentiment de ce duo incontournable tant par la symbolique qu’il représente que par la nécessaire mise en œuvre qui en découle.

L’année 2023 fait également écho à un autre 60e anniversaire : celui du décès de Robert Schuman en ce 4 septembre. Lui qui a connu trois nationalités – allemande et luxembourgeoise par sa naissance, puis française après la restitution de l’Alsace-Lorraine suite au Traité de Versailles en 1919 – est considéré comme l’un des Pères fondateurs de l’Europe aux côtés du Français Jean Monnet, de l’Allemand Konrad Adenauer, de l’Italien Alcide de Gasperi, du Belge Paul-Henri Spaak, du Néerlandais Johan Willem Beyen et du Luxembourgeois Joseph Bech.

Les Pères fondateurs, Scy-Chazelles

Les Pères fondateurs, Scy-Chazelles

La construction européenne, certes imparfaite parce qu’encore inachevée, trouve sa source dans le discours du 9 mai 1950 prononcée par Robert Schuman, alors ministre français des affaires étrangères, qui au travers de cette déclaration au Salon de l’horloge du Quai d’Orsay a osé au lendemain de la guerre croire en la paix. Quel pari ! Quel courage ! Quelle audace !

Le socle d’une paix durable était nécessaire ; il savait de quoi il parlait, l’homme aux nationalités successives et subies. Certes, mais parler de réconciliation à des opposants dont plusieurs générations s’entretuaient depuis 70 ans, mettre en présence les belligérants de la veille alors que les plaies étaient loin d’être pansées, faire œuvrer six peuples dévastés par les horreurs guerrières des années précédentes pour produire ensemble charbon et acier, il en fallait de l’espoir et de la conviction. De la foi aussi, en particulier dans la personne humaine.

De notre fenêtre aujourd’hui, mesurons-nous réellement le socle de valeurs humaines et humanistes chez cette personne ?
Quand on n’a connu la guerre qu’au travers des souvenirs de proches, de récits ou de cours d’histoire (aujourd’hui les Français de plus de 75 ans ne représentent que 10 % de la population, les chiffres sont quasiment identiques chez nos voisins allemands), on ne peut mesurer pleinement les épreuves et traumatismes qui s’inscrivent chez ceux qui subissent de plein fouet la tragédie guerrière.
La dramatique actualité vécue par le peuple ukrainien depuis 18 mois nous rappelle non seulement la fragilité de la paix, mais aussi l’exposition proche pour les peuples qui n’ont pas
eu la chance de suivre les chemins de paix initiés par leurs courageux aînés.
Dans notre Europe de l’ouest, nous nous sentons à l’abri. Nos voisins d’Helsinki, Riga ou Bucarest mesurent sans doute plus que nous les risques auxquels nous échappons actuellement, tout cela grâce à l’Union européenne.

Depuis le 4 septembre 1963, Robert Schuman repose en terre mosellane, sur les hauteurs de Scy-Chazelles non loin de Metz. C’est là que s’est arrêté son parcours européen à 77 ans, mais pas son œuvre ; bien au contraire, elle est poursuivie depuis des décennies par des hommes et des femmes, par le Peuple européen qui construit son histoire commune.

Dans quelques mois au printemps prochain, ce peuple justement aura de nouveau rendez-vous avec l’Histoire, pour la 10e fois dans le cadre du renouvellement de ses représentants au Parlement européen. Robert Schuman n’a pas connu cet événement démocratique, mais nul doute qu’il en serait fier.

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Nouveaux billets en euros : et si on osait l’incarnation ?

Bonne idée ! Jusqu’au 31 août 2023, la Commission européenne invite les citoyens européens à s’exprimer sur le choix du thème des nouveaux billets en euros dont la mise en circulation est prévue pour 2026.
Certes, la monnaie papier perd de vitesse au profit du paiement numérique ou par carte – pourtant tout aussi « liquide » que les espèces – mais autres temps, autres mœurs, nous adoptons de plus en plus l’usage des nouvelles technologies au quotidien, y compris pour les achats. Il n’en reste pas moins que la concrétisation de la monnaie unique passe par l’existence des espèces sonnantes et trébuchantes que sont les 8 pièces et 7 billets qui ont cours depuis le 1er janvier 2002.
Si les pièces sont dotées d’une face nationale, il n’en est rien pour les billets dont les portails, fenêtres et ponts, tous fictifs, avaient pour but de symboliser la coopération entre les pays membres et leur ouverture au monde, associés à des courants architecturaux.

Nouvelle thématique deux décennies plus tard

Si toute une génération s’est trouvée pleinement contemporaine de cette existence numéraire, « vingt ans après leur mise en circulation initiale, il est temps de revoir l’apparence de nos billets de banque, afin que les Européens de tous âges et de tous horizons puissent s’en sentir plus proches » commente Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne.

D’où l’idée d’inviter les citoyens à se prononcer sur 7 thèmes proposés :

  • Fleuves : rivières de la vie en Europe,
  • La culture européenne,
  • Le futur vous appartient,
  • Le reflet des valeurs européennes dans la nature,
  • Les oiseaux : libres, résilients et inspirants,
  • Mains : construire l’Europe ensemble,
  • Notre Europe et nous-mêmes

Ces 7 domaines intéressants et inspirants ont le mérite de nous faire avancer vers des représentations concrètes, signe d’un besoin de représentations symboliques, mais également authentiques.
Si tel est le but, pourquoi alors ne pas oser l’incarnation si souvent jugée trop absente et aller jusqu’au bout en proposant des noms de personnes ?

Besoin d’incarnation… et d’action

En effet, il n’en manque pas des hommes et des femmes pour qui l’Europe a représenté un rêve, une issue, une construction, une œuvre de paix, une solution aux tragédies qu’ils et elles avaient touchées de près, et qui se sont révélés des témoins de notre histoire : de Simone Veil à Robert Schuman, de Louise Weiss à Jean Monnet, d’Anne Franck à Alcide de Gaspéri, de Konrad Adenauer à Paul-Henri Spaak…
Il n’en manque pas des hommes et des femmes d’Europe qui au fil des siècles représentent l’inventivité, l’évolution, le progrès, les arts, la littérature et sont présents dans notre quotidien : de Marie Curie à Léonard de Vinci, de Maria Callas à Vasco de Gama, de Sénèque à Mozart, de Picasso à Beethoven, de Galilée à Aristote, de Freud à Van Gogh…
La liste est longue.

Assurément, une telle sélection s’annonce plus difficile à arbitrer et possiblement génératrice de clivages nationaux pour ne pas dire de guerres de clochers européens. En effet, ces personnalités sont-elles équitablement familières de Dublin à Vilnius ou d’Helsinki à Athènes ? Certes non. Mais les ponts et fenêtres imaginaires l’étaient-ils seulement ?
Et si j’entends déjà d’aucuns augurer que Louise Weiss ou Alcide de Gaspéri ne sont pas suffisamment connus du grand public, ce serait alors une formidable occasion de réparer nos carences culturelles et citoyennes en la matière par un épisode d’histoire européenne présenté à toutes et tous, de l’Atlantique à la Mer noire (la Bulgarie entrera dans la zone euro en 2025), de la Baltique à la Méditerranée.

Savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va

Sans minimiser l’intérêt de chacune des 7 thématiques proposées, colloques, séminaires et publications sur la citoyenneté européenne révèlent régulièrement le manque d’incarnation d’Europe dans la vie de tous les jours.
Or les symboles, la monnaie unique en est un comme le drapeau, l’hymne, la devise ou encore la fête – en attendant que le 9 mai devienne un jour férié -, contribuent à construire la conscience citoyenne européenne. Avec l’euro et le renouvellement de ses billets, nous avons là une chance de faire d’une pierre deux coups : donner plus de proximité à l’Europe et rassembler toutes les générations simultanément en leur faisant vivre cette appropriation.
Un cours d’histoire et de culture européenne intergénérationnel en quelque sorte, pour dépasser cet obstacle de méconnaissance et pour ouvrir la voie d’un plus fort sentiment d’appartenance.

Plus que de laisser les carences éducatives du passé nous enliser dans une acculturation de notre histoire commune, transformons cette fragilité en un formidable élan et allons à la rencontre de ces hommes et ces femmes qui, chacun et chacune de sa fenêtre, de son époque, de son idéal, de son domaine a semé, a créé, a soigné, a pensé, a osé, a œuvré.

Ce choix d’une 8e thématique par des noms de personnes n’est sans doute pas la solution la plus facile, mais quand on dit et redit que l’Europe se construit avant tout par et pour la personne, rien ne serait plus cohérent.
Et l’enjeu européen ne vaut-il pas de relever ce défi ?


Enquête en ligne jusqu’au 31 août 2023 : la BCE consulte

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Tous les chemins d’Europe mènent à Compostelle

S’ils trouvent leur source au Moyen Âge, les chemins vers St-Jacques-de-Compostelle sont loin d’être déconnectés en ce XXIe siècle. Un franc succès, voire un engouement pour ces itinéraires empruntés que chaque marcheur s’approprie. Que les motivations soient religieuses, spirituelles, sportives, familiales, touristiques, elles fédèrent des valeurs d’humanité partagées par nombre de personnes se vêtant du costume de pèlerin le temps de ces journées de ressourcement. Un avant et un après.
Béatrice Bordeau est formatrice à l’École Supérieure d’Agriculture auprès de jeunes en reconversion professionnelle, et vit à Peuton dans le périmètre mayennais de Château-Gontier. Elle a également été agricultrice avec son mari pendant plus de 30 ans. Âgée aujourd’hui de 60 ans, elle s’est récemment mise en chemin sur cet itinéraire européen.

Crédit photo Ouest-France

Rencontre avec une pèlerine foncièrement européenne. Lire la suite →

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9 mai, des symboles… et des actes

Le mois de mai 2023 est riche en jours fériés, tombant pour la plupart en semaine cette année.
À l’exception des personnes n’exerçant pas le lundi, toutes les autres peuvent se projeter dans des semaines hautement raccourcies où le défi consiste à accomplir autant de travail en moins de temps. Un comble en ce mois commençant par la fête… du travail.

En effet, ces jours fériés incombent tout d’abord au 1er mai, fête du travail s’il en est. 7 jours plus tard, on remet ça ; cette fois, c’est pour commémorer l’armistice de la guerre 1939–1945. On ne va pas s’en plaindre : il nous paraît évident et acquis que ces événements hautement symboliques dans le domaine des droits pour l’un et des valeurs de paix pour l’autre soient reconnus au point qu’un effort économique, civique et… de relâche leur soit accordé. Cela dit, s’ils nous semblent évidents et inscrits dans nos calendriers, cela n’a pas toujours été le cas : c’est depuis la Libération et réellement en 1948 que le 1er mai est devenu férié et chômé, mais ce n’est pas le cas du 8 mai qui lui a rejoint les jours enviés du calendrier en 1981. Eh oui ! Alors que l’armistice du 11 novembre 1918 s’est imposé à 4 ans d’âge dans les jours fériés dès 1922, il aura fallu 9 fois plus d’années, soit 36, pour que la paix sur le continent européen soit validée à hauteur de sa grande sœur de 1918. Allez comprendre… Peut-être fallait-il s’assurer que cette fois-là elle serait durable ?

Si aujourd’hui ce calendrier perforé se conjugue parfaitement avec une envie et un besoin de printemps chantant, il ne faudrait pas pour autant négliger l’origine de ces bienfaits. Assurément, quand le calendrier les rend plus visibles, il se peut qu’ils résonnent davantage. Quoi qu’il en soit il ne faudrait pas en oublier la genèse.

Jamais deux sans trois

À défaut de la semaine des quatre jeudis, le mois de mai pourrait et devrait bien accueillir la dizaine des trois jours fériés. Sans minimiser la légitimité des deux premiers, un troisième devrait indubitablement s’imposer : le 9 mai. Non pas parce que Léonid Brejnev l’a imposé en 1965 comme victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie, décalage horaire oblige, mais parce qu’un certain mardi de 1950, le 9 mai, le courageux, le valeureux, l’audacieux Robert Schuman a prononcé un discours au salon de l’horloge du quai d’Orsay appelant les ennemis d’hier à se réconcilier. Presque passée sous silence en son temps, cette date a donné naissance le 18 avril 1951 au Traité de Paris, créant la CECA, première pierre de la construction européenne. Il aura fallu d’ailleurs attendre 1985 pour reconnaître cette date comme l’acte fondateur de l’Europe de paix, celle de la citoyenneté et des peuples.

Les échos médiatiques peuvent la rendre plus ou moins discrète ou visible, mais quelles que soient les années il revient à en célébrer cet acte fondateur, garant de notre paix aujourd’hui âgée de 78 ans : un record quand on sait que les précédentes périodes de paix sur le continent européen n’ont jamais excédé 27 ans.

La faute à qui ?

Alors, à l’heure où depuis quatorze mois les bombes résonnent sur le sol ukrainien, la Paix, durable et continue, ne mériterait-il elle pas une incarnation forte ?
La Paix voulue, souhaitée, et mise en germe par Robert Schuman ne vaut-elle pas une journée fériée dans l’année au sein des vingt-sept États membres de l’Union européenne ?

Comme tout peuple se retrouve dans les symboles comme une devise ou un drapeau, parce que c’est par des réalisations concrètes que se construit le sentiment d’appartenance, un jour commun partagé s’impose comme ciment d’une construction identitaire et citoyenne : à quand le 9 mai, férié et chômé, institué comme un moment partagé entre les 450 millions de citoyens européens ?

Et pour une fois, à juste titre, on pourra dire « c’est la faute à l’Europe ».

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1963–2023 : Il était un Traité…

Il avait 15 ans en 1963 à la signature du Traité de l’Élysée. Rencontre avec Christian Latieule, retraité de 75 ans vivant en Île-de-France, marié, père de deux enfants et six fois grand-père, pour qui les 60 ans du Traité représentent bien plus qu’une signature…
Après des études en école, collège et lycée publics à Paris, Christian a exercé toute sa carrière professionnelle dans l’enseignement privé catholique sous contrat avec l’État : instituteur, chef d’établissement scolaire, directeur diocésain adjoint de l’Enseignement catholique à Meaux et professeur à l’Université Catholique de Paris.

À l’inverse de nombre de vos contemporains, vous maîtrisez la langue allemande ; d’où cela vient-il ?
À la fin de la classe de CM2, mes parents ont été convoqués par mon institutrice, Madame Lombardet, qui leur a dit que je devais continuer mes études en collège puis au lycée et que je devais apprendre l’allemand en première langue dès la classe de sixième. Ainsi je me débrouille assez bien en allemand et très mal en anglais, ma deuxième langue… Soyons honnête sur mes compétences en allemand : aujourd’hui si les bases sont venues de mes études, l’essentiel a été acquis par mes relations avec mes amis allemands à Düsseldorf et en Bavière, à Straubing.

Parlons des relations justement, vous avez participé à l’un des premiers échanges organisés par l’OFAJ suite à sa création en 1963 dans le prolongement du Traité de l’Élysée. Vous souvenez-vous de la génèse de cet échange ?
Il y avait un groupe de jeunes dans notre paroisse qui s’appelait la « Communauté Des Jeunes (C.D.J.) » avec plusieurs groupes dont une équipe de handball. Nous étions affiliés à la Fédération Sportive et Culturelle de France (F.S.C.F.) et notre équipe participait au championnat régional de handball. Au début de l’année scolaire 1963–1964, la F.S.C.F. nous a proposé de participer à un échange franco-allemand organisé par l’Office Franco-Allemand pour la Jeunesse lors du week-end de Pâques 1964. Nous y avons rencontré une équipe allemande de Wanne-Eickel près de Dortmund où nous sommes allés en train depuis Paris pour être logés chacun dans la famille d’un joueur de handball de cette équipe allemande.

Comment ce voyage s’est-il déroulé ?

Nous sommes partis de la gare de Paris-est dans un train spécial pour ce voyage avec 750 autres jeunes, essentiellement des sportifs (footballeurs, handballeurs, joueurs de tennis de table, etc.). Nous étions tous des ados entre 16 et 20 ans, encadrés par nos responsables de groupes. Nous sommes restés sur place, à Wanne-Eickel durant trois jours avec un tournoi de handball rassemblant trois équipes allemandes, dont celle de Wanne-Eickel et deux équipes françaises dont je ne me rappelle plus le nom de la deuxième. En revanche, je me souviens que nous n’avons pas gagné le tournoi.

À l’arrivée à Dortmund, nous avons été accueillis de manière extraordinaire : un orchestre qui a joué la Marseillaise, puis de la musique à notre descente du train ; des jeunes et des adultes qui nous accueillaient en agitant des petits drapeaux français et ensuite, des bus nous ont emmenés jusqu’à l’hôtel de ville où nous avons été accueillis par le bourgmestre de Dortmund dans la grande salle des fêtes pour discours et buffet à partager. Ensuite, les bus ont emmené notre équipe de la C.D.J. à Wanne-Eickel où les handballeurs allemands et leurs parents nous attendaient pour nous conduire chez eux où nous nous sommes installés pour les trois jours. Là où j’ai été accueilli, c’était un petit appartement de trois pièces et les parents ont absolument voulu que je dorme dans leur chambre ! Pour deux nuits, ils ont utilisé le canapé qui se trouvait dans la salle de séjour, leur fils étant resté dans sa petite chambre… Incroyable…

Quel écho ce séjour a‑t-il eu dans votre propre famille et votre entourage ?

Des réactions très inattendues pour moi, réactions gravées dans ma mémoire !
À cette époque, les enfants ne parlaient pas à table lors des repas, les jeunes comme moi un peu lorsque l’occasion s’en présentait.
Dans notre famille, nous avions l’habitude de nous retrouver de temps en temps, le dimanche pour déjeuner chez mon arrière-grand-mère maternelle dans un grand appartement, à Belleville (Paris 20e). Nous étions souvent une bonne douzaine de personnes car c’était une grande famille, mon arrière-grand-mère avait eu huit enfants. Vers la fin 1963, nous étions réunis pour un déjeuner familial et, sans doute très content du projet auquel j’allais participer, j’ai dit toute ma joie de bientôt partir en Allemagne pour le week-end de Pâques. Que n’avais-je pas dit là !

C’est alors qu’un grand-oncle du côté de ma mère a interpellé mon père. Cela fait presque 60 ans mais les mots de l’échange avec mon père sont gravés à jamais dans ma mémoire. Cet oncle André interpelle donc mon père en lui disant :
« Jean, j’apprends que Christian, en plus d’apprendre l’allemand, va bientôt partir en Allemagne ; on voit bien que tu n’as pas été comme moi prisonnier en Allemagne pendant cinq ans ! » J’entends encore le silence soudain autour de la table et la réponse de mon père :
« André, je comprends ce que tu peux ressentir mais nos grands-parents se sont battus contre les Allemands en 1870, nos parents encore en 14–18 et nous en 39–45… Eh bien, je ne veux pas que cela recommence pour mon fils ! »

Il y eut un autre silence, puis l’oncle Gustave qui avait lui-aussi été prisonnier en Allemagne a pris la parole avec un bon mot dont il avait le secret ; les adultes ont parlé d’autre chose et cette question n’a plus jamais été abordée aux tables familiales de mon arrière-grand-mère…

Avez-vous conservé des liens avec la famille qui vous a accueilli ?

Non et pour plusieurs raisons que j’essaie d’identifier aujourd’hui : le jeune Allemand chez qui j’étais accueilli n’apprenait que l’anglais et ses parents ne parlaient aucune langue étrangère, il n’y avait pas la richesse des moyens de communication que nous connaissons aujourd’hui, j’ai même perdu le nom et le prénom de ce jeune homme. Il n’y a plus eu ensuite de contact avec le club de handball de Wanne-Eickel…

Cependant, aujourd’hui, je peux dire que « le ver était dans le fruit »… ! En effet, deux ans plus tard en 1966, sur une proposition de la F.S.C.F et avec l’O.F.A.J., je suis reparti en Allemagne pour un échange sportif en tennis de table avec l’équipe allemande de « Rheinland 05 » à Düsseldorf. Un échange complet puisqu’en 1968, toujours avec l’O.F.A.J. et la fédération allemande de la Deutsche Jugend Kraft (D.J.K.), cette équipe est venue à Paris lors du week-end de Pâques. Aujourd’hui, je suis toujours en relation d’amitié avec la femme de l’un de ces joueurs allemands dont le mari Emil est décédé en 2018. Ils sont venus plusieurs fois chez nous et nous ont reçus souvent chez eux. Karin a actuellement 87 ans…

Plus tard, notre fils Fabrice apprenant l’allemand en première langue a participé à un échange franco-allemand entre son lycée à St Mandé (94) et un lycée bavarois de Straubing. En 1987, nous avons accueilli chez nous pour une semaine Markus, et Fabrice a été reçu chez lui l’année suivante. C’est le début d’une intense amitié entre cette famille Büchner et nous. Markus a vécu les fêtes du bicentenaire de la Révolution française avec nous à Paris, puis des vacances en Bretagne, sur les bords de Loire et dans les Alpes ainsi qu’avec sa sœur et ses parents. Avec eux, nous avons découvert toutes les régions d’Allemagne, y compris l’ex‑R.D.A. quelques mois après la réunification, mais aussi la Tchécoslovaquie de l’époque. Des deux côtés, ces deux familles sont présentes lors des grands évènements familiaux de l’autre famille, mariages et obsèques. Aujourd’hui encore, nous ne passons pas une année sans nous revoir en Allemagne ou en France.

Perceviez-vous à l’époque les enjeux de « l’amitié franco-allemande » ?

Non, mais comme je l’ai dit, « le ver était dans le fruit » et ce ver c’est la réponse que mon père a faite à l’oncle André en 1963 !

Cette expérience a‑t-elle eu des conséquences sur votre vie et votre vision de l’Europe et du monde ?

Oui, comme je l’ai expliqué pour le lien entre l’Allemagne et la France, la dernière action chronologique dans ce sens étant la part très active que j’ai prise dans le jumelage de la commune voisine de chez nous, Crécy-la-Chapelle, avec la ville de Pielenhofen en Bavière, à côté de Regensburg (Ratisbonne).
De même cela m’a donné l’envie de découvrir le monde : beaucoup de pays d’Europe mais aussi de participer activement à la mise en place de partenariats au Togo et au Bénin.

60 ans plus tard, cet échange résonne-t-il encore pour vous ?

Énormément, je pense que cela transparaît suffisamment dans ce que je relate ici sans que j’aie besoin de préciser un peu plus…

Selon vous, quelle part dans la construction européenne ce Traité a‑t-il joué, ou joue-t- il encore ?

Aujourd’hui, je sais que ce Traité a joué un rôle fondamental car il a créé des bases irréversibles qui obligent les politiques des deux pays. L’idée géniale a été dès le départ d’impliquer la jeunesse… L’O.F.A.J. a joué et joue encore un rôle fondateur d’avenir. ERASMUS a permis de continuer et d’amplifier au niveau des jeunes des deux pays et des autres pays d’Europe.

Au-delà de la célébration du Traité qui connaît un certain retentissement, quel prolongement voyez-vous ou souhaitez-vous pour la suite ?

Continuer dans la même logique pour nos petits-enfants. L’Allemagne et la France, par leur amitié et leur coopération, sont des moteurs pour l’Union Européenne.

Avez-vous un message à exprimer ?

Que nos dirigeants allemands, français et tous les autres membres de l’Union unissent leurs efforts pour aider l’Ukraine à se défendre, mais aussi et surtout pour que l’on parvienne à amener la Russie (que je connais bien, sept voyages avec la Fondation Napoléon dont je suis membre) et l’Ukraine autour d’une table afin d’y négocier une paix durable comme l’Allemagne et la France ont su le faire grâce à deux visionnaires, Charles de Gaulle et Konrad Adenauer.

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L’Europe à portée de sapin

10 000 élèves de 350 écoles venant de 17 pays européens ; c’est à ce vivier culturel et linguisitique que contribue le CECI depuis plusieurs années en faisant le lien entre établissements scolaires et l’organisateur Brian Stobie et son équipe basés à Durham (Royaume-Uni).
Concrètement, les écoles mises en réseau au sein de groupes réalisent et expédient des décorations de Noël aux établissements partenaires (une trentaine d’écoles par groupe) sans oublier de communiquer sur les traditions respectives et la présentation des lieux de vie. L’aboutissement se traduit par un sapin de Noël inédit au vu de ses décorations émanant de tous horizons européens.
Des leçons de géographie et de culture européenne grandeur nature pour apprendre à se connaître. C’est comme ça aussi que se construisent la conscience européenne et le sentiment d’appartenance à l’Europe.
Félicitations à tous les élèves et leurs enseignants !

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Karen, une jeunesse en voie d’Europe

Quelques réflexions et commentaires suite à la publication de l’article « L’Europe dans les yeux de Karen ».

21 ans seulement et déjà une forte conscience européenne : c’est la puissante image qui ressort de l’échange avec Karen, étudiante bretonne en « Master d’Études franco-allemandes Coopération et Communication transfrontalière » à Metz. Si l’on comprend que le bain d’Europe dans lequel elle a évolué au fil de sa scolarité a pu influencer son parcours, on remarque également ses attentes pour un avenir loin d’être tracé d’avance. Son avis sur l’actualité, ses attentes et ambitions sur l’avenir du projet européen, mais aussi la responsabilité incombant aux citoyens par le vote aux élections européennes par exemple, argumentent le défi d’une Europe resserrée autour de ses valeurs, une Europe dans laquelle les citoyens se retrouvent impliqués et rapprochés des institutions.

Pour une Europe incarnée

Il est souvent reproché à l’UE de manquer de représentations fortes et identifiées.
Signe que l’Europe manque d’incarnation, outre les pères fondateurs ou quelques gouvernants « peu de noms viennent en tête » à Karen pour désigner des acteurs ou des personnalités liées à la construction européenne.
Parmi les pistes à creuser pour y remédier, faudrait-il des visages de personnalités européennes sur les billets d’euros ? L’idée refait surface régulièrement et contredit en cela le choix qui avait opéré en son temps et conduit à des représentations symboliques tels les « ponts imaginaires ou imaginés » comme liens entre les peuples, ou encore les fenêtres ouvertes sur le monde appelant à regarder au-delà de son propre horizon. Une ouverture vers des rencontres, des plus proches aux plus lointaines. Si le symbole porte tout son sens, il manque sans doute un aspect concret, réalisable dans une représentation de personnalités.
Puissent alors les États dépasser leurs visions nationales et s’accorder pour reconnaître des qualités universelles d’hommes et de femmes qui ont œuvré et se sont illustrés au fil des ans, de Léonard de Vinci à Simone Veil, de Copernic à Picasso, d’Andersen à Marie Curie, et bien d’autres…
Une proximité entre citoyens et institutions paraît également nécessaire par une simplification visant à rendre ce système « plus clair » aux dires de l’étudiante. En effet, la nébuleuse des termes (Commission européenne, Conseil de l’Union européenne, Conseil européen, Conseil de l’Europe) ajoute à la confusion et associe également cette confusion aux actes des institutions : cela contribue non seulement à éloigner les citoyens des structures européennes, mais souvent à rendre imperceptibles les décisions protectrices de ces dernières. Tout un paradoxe à hauteur duquel une simplification de gouvernance s’impose.
Ces aspects ont d’ailleurs été fréquemment évoqués par les citoyens lors de la Conférence sur l’Avenir de l’Europe.

De la reconnaissance à l’appartenance

Comment la conscience européenne se construit-elle ? Karen s’est montrée surprise de découvrir parfois plus de spontanéité dans les rapprochements entre jeunes européens par rapport aux jeunes d’autres régions du monde. Se découvrir proches les uns des autres, à la fois géographiquement mais surtout culturellement contribue à s’identifier individuellement puis collectivement ; c’est sans doute le terreau qui nourrit et fertilise le sentiment partagé d’appartenance. Sur ce chemin, la (re)connaissance entre pairs constitue une étape.
Quel lieu plus simple et à la portée de tous que l’École pour agir ?
Signe que ce sont les expériences authentiques, le vécu sur le terrain qui élaborent et construisent le sentiment d’appartenance, c’est sur les bancs de son année de CM2 que l’étudiante fait remonter sa rencontre avec l’Europe, au travers d’activités concrètes portées par son enseignante rendant « le projet européen attractif ». Cette appétence s’est certainement trouvée consolidée par la suite par les échanges et rencontres elles aussi authentiques lors de séjours scolaires dans des pays européens qui d’étrangers sont devenus voisins.
Les systèmes éducatifs nationaux doivent impérativement s’emparer de ces enjeux et se montrer dignes de la responsabilité qui leur incombe en matière de construction de la citoyenneté européenne.
Signe que c’est tout au long de la vie que l’on se forme et s’éduque à l’Europe, s’il n’est jamais trop tard pour s’initier à l’Europe, il n’est jamais trop tôt. Il convient de ne pas réserver ces rencontres aux établissements secondaires mais au contraire de les initier « tôt, dans toutes les écoles primaires ». De la même manière que l’on n’attend pas d’un jeune enfant qu’il sache lire pour lui mettre un livre entre les mains, c’est justement parce qu’on l’aura familiarisé tout jeune avec le livre qu’il acquerra plus aisément la lecture. CQFD. Nul besoin non plus de devoir se déplacer physiquement pour échanger ; des ressources diverses comme la correspondance, renforcées aujourd’hui par la pléthore d’outils numériques (plateforme e‑twinning, réseaux sociaux) ne demandent qu’à être exploitées pour permettre la communication.

Un projet politique fort et évolué

Depuis huit mois, l’actualité internationale se trouve bouleversée par les conséquences de la guerre en Ukraine. L’UE, présente et active mais assurément imparfaite, se révèle aujourd’hui incontournable. Si des divergences entre États apparaissent – bien souvent alimentées par de purs intérêts nationaux – elles ouvrent une réflexion de fond en amenant les membres à se (ré)interroger sur les valeurs fondatrices du projet européen : la Paix et la Solidarité, prônées par Robert Schuman. Ce retour aux sources conduira vraisemblablement au défi d’un « approfondissement de l’Union plus qu’un élargissement », selon l’étudiante.
Que des jeunes s’impliquent aujourd’hui dans des cursus européens, s’approprient l’échelle européenne comme territoire, s’ouvrent au monde en y prenant une part active par des choix de formation sont autant d’indicateurs encourageants dans une société souvent présentée sclérosée et refermée sur elle-même. Au contraire, ces jeunes croient en un destin commun et témoignent d’ambitions fortes comme le prévoit Karen par le « renforcement de l’unité de l’Europe ». Ce sont eux, nos guides ; ils nous montrent la voie.
À l’image de la construction européenne après 1945, gageons que là aussi le moment venu la Réconciliation, 3e pilier des valeurs portées par le père fondateur, puisse être d’actualité.
Robert Schuman y a cru ; raison il a eu.

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L’Europe, dans les yeux de Karen

De Besançon ou de Berlin, de Cherbourg ou de Friburg, de Bretagne ou de Nuremberg, ils sont une petite douzaine d’étudiants français ou allemands à préparer un « Master d’Études franco-allemandes Coopération et Communication transfrontalière » à l’Université de Metz, dans le cadre d’un partenariat entre les universités de Lorraine, de la Sarre et du Luxembourg.
Rencontre avec Karen, 21 ans, qui après une double licence Droit-LEA (Droit carrières internationales) à l’Université de Bretagne Occidentale a quitté Brest pour la Lorraine.

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Le conte est beau

Depuis soixante jours, l’invasion russe en Ukraine s’est invitée sur les écrans de télévision fixant avec précision et temps réel des images dans les esprits : de l’exode de familles sur les routes aux charniers de Boutcha, en passant par les frappes militaires et les décombres de Marioupol, les scènes d’horreur ne manquent pas. Nul ne peut rester insensible et chacun d’entre nous découvre la proximité de cette guerre, tant sur le plan géographique, l’Ukraine est à quelques centaines de kilomètres de la France et aux portes de l’UE, que par l’immédiateté au vu de la rapidité de réception des informations. 

Nous, adultes, sommes saisis par la violence guerrière qui se déroule sur nos yeux, nous qui pour la plupart avons eu la chance de naître et de vivre sur le territoire européen dans la période de réconciliation. Des récits transmis, racontés, vécus par nos aînés, parents et grands-parents, nous ont été relatés comme promesses d’ultimes horreurs appartenant à un monde et une époque révolus, laissant place à la paix.
Nous, adultes, sommes choqués par le basculement et la soudaineté de ces actes belliqueux qui mettent à jour le fragile équilibre entre la terreur et la paix.
Nous, adultes, pouvons essayer de raisonner et, sans minimiser ni camoufler la réalité, tenter d’analyser les faits et enjeux, nous jouant de prospectives et prévisions en tout genre, sans risquer nos vies. 

L’enfance, un monde perméable 

Qu’en est-il des enfants ? Parce que le monde en vrai est à portée d’écran, ils se trouvent eux aussi concernés par les atrocités révélées. Parce que la vie enfantine n’est pas sanctuarisée ni étanche aux médias, les faits guerriers leur parviennent et ne manquent pas de les questionner.
À en juger par les propos exprimés dès le matin du 25 février, les jeunes écoliers ne se sentent pas éloignés des préoccupations de leurs parents :
« La guerre peut- elle arriver chez nous ? » telle était l’angoissante et lancinante interrogation courant comme un fil rouge tout au long de la logorrhée de paroles exprimées.
Reconnaissons que cette question résonne en nous, et au travers de notre compassion envers les Ukrainiens, nous redoutons avant tout de nous sentir, concrètement, concernés. 

Là aussi, il est un équilibre à trouver entre questions posées et réponses apportées ; rien ne serait plus dangereux que des espaces vides de mots qui auraient pour immédiateté la construction d’une réalité a fortiori erronée par ses excès ou au contraire absences de factualité.
Certes, à l’attention des enfants il n’est pas question d’entrer dans une explication exhaustive que d’aucuns d’ailleurs se trouveraient incapables de leur présenter, mais de poser des termes sur ces faits, fussent-ils hautement condamnables pour ne pas dire terrorisants.
Rien ne serait plus risqué que de laisser le vide, dont l’espace a horreur, s’installer et fixer des commentaires et légendes sur des images inscrites dans les esprits et aux encres indélébiles.
Apprendre à voir les événements et appréhender le monde et ses réalités font partie de la construction de la personne ; c’est tout l’enjeu de l’éducation aux médias qui s’édifie dès le plus jeune âge, et de jour en jour. C’est ainsi que l’on apprend également à devenir citoyen, faisant partie d’un tout, d’une société construite elle-même au travers d’une Histoire. Cet apprentissage est la résultante d’un processus de socialisation et convoque immanquablement valeurs et fondements. 

L’heure de réaliser et de confirmer s’il en était besoin que le vivre ensemble se construit à chaque instant, en tout lieu, et concerne chacun d’entre nous ; dans l’enfance et en particulier à l’école, l’éducation à la citoyenneté doit prendre toute la place qui lui revient pour édifier solidement cette responsabilité.
L’âge des élèves dans le premier degré, en particulier au cours des dernières années de primaire, se révèle particulièrement idoine pour l’émergence du sentiment d’appartenance et de conscience de partage comme le décrit Géraldine Bozec*. 

De Robert à Arthur : un printemps espérant 

En effet, en tant qu’enseignante en classe de CM2, je peux témoigner que le questionnement sur la guerre en Ukraine a débordé les premiers jours de mars et de ceux d’avril, rendant chez certains le printemps plus inquiétant que chantant.
Bien au-delà d’une présence explicite de ces tourments, la solidarité et le soutien envers le peuple ukrainien ont pu se manifester de mille et une façons par les jeunes élèves, les collectes de denrées de première
nécessité entre autres, et parfois de manière inattendue.
Ainsi, au terme d’une séquence classique d’expression écrite visant à apprendre à écrire un conte, alors que se succédaient les textes relatant les exploits de héros chevaliers secourant princesses et consorts au milieu de monstres et de licornes (très tendance, les licornes en 2022), s’est présentée la production d’Arthur, 10 ans, intitulée « La Russie contre l’Ukraine » : 

Il était une fois un jeune guerrier ukrainien qui s’appelait Davire. Il avait 28 ans, et vivait sans femme. 

En ce moment-là, c’était la guerre en Ukraine. Les habitants avaient très peur de la Russie, c’était leur ennemi. La mission pour Davire était de les sauver. Un beau jour, le jeune guerrier apparut sur le champ de bataille pour se battre contre la Russie. Il avait trois épreuves.
La première consistait à traverser la rivière de la mort pour atteindre l’armée russe.
Quant à la deuxième, elle se montra plus difficile, il fallait abattre l’armée russe et la capturer.
La troisième épreuve était assez difficile : il fallait tirer des balles pour faire la paix. Alors Davire utilisa son fusil magique et tout redevint comme avant. 

Davire se trouva une femme russe très gentille et ils eurent beaucoup d’enfants. »

Si son texte force le respect et inspire nombre d’enseignements, il montre avant tout au travers de sa conclusion impliquant les deux nationalités que les valeurs de paix et de réconciliation prônées par Robert Schuman un certain 9 mai 1950 sont loin d’être démodées.
Si ce printemps se révèle inquiétant et angoissant, il est aussi inspirant et espérant. 

Nous partageons tous, enfants et adultes, les mêmes espoirs, socles de notre avenir et destin commun.
Loin d’être futiles, les préoccupations du jeune élève dans son texte rassemblent les valeurs qui font de nous des humains. 

Bravo et merci à toi Arthur, ton conte est beau. 

* Géraldine BOZEC, Les Héritiers de la République, Éduquer à la citoyenneté à l’école dans la France d’aujourd’hui. 2010

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